La gestion des divergences d’opinions dans l’Église

Les désaccords entre chrétiens sont souvent vécus comme des échecs mais peut-être bien que Dieu voient les choses autrement…

par Jean-Philippe Bru, Professeur-coordinateur de Théologie pratique à la Faculté Jean Calvin

Après avoir abondamment parlé de l’amour fraternel dans les chapitres 12 et 13 de sa lettre aux Romains, Paul exhorte ainsi ses lecteurs au début du chapitre 14 : « Faites bon accueil à celui qui est faible dans la foi, sans discuter des opinions » (verset 1). Dieu se sert des divergences d’opinions pour tester notre amour les uns pour les autres. Penser que tout le monde devrait être d’accord sur tout dans l’Église, c’est oublier que nous sommes tous encore en chemin en ce qui concerne la connaissance et que l’unité parfaite n’est pas pour ici-bas. Dans l’Église de Rome, il y avait des chrétiens végétariens et d’autres qui ne l’étaient pas. Lorsqu’ils sont devenus chrétiens, leur arrière-plan culturel et religieux a continué à influencer leur manière de penser. Jerry Bridges1 raconte que lorsqu’il était adolescent, ses parents lui interdisaient de se rendre dans les salles de billard de la ville, parce qu’elles étaient mal fréquentées. Quelle ne fut pas sa stupéfaction quand, quelques années plus tard, lors d’une conférence chrétienne, il aperçut des pasteurs pendant une pause jouer joyeusement au billard ! La question n’est donc pas de savoir s’il est normal qu’il y ait des divergences d’opinions dans l’Église, mais plutôt comment Dieu veut que nous les gérions.

Certains chrétiens de Rome croyaient « pouvoir manger de tout » alors que d’autres ne mangeaient « que des légumes ». Quelles solutions s’offraient à eux pour résoudre le problème ? Première possibilité : imposer aux végétariens de manger de tout au nom de la liberté chrétienne. Deuxième possibilité : imposer aux non-végétariens de cesser de manger de la viande au nom de la charité chrétienne. Paul a choisi une troisième voie, celle de la tolérance chrétienne : nous accueillir les uns les autres, sans mépris ni jugement. Au lieu d’imposer notre opinion aux autres, nous devrions accepter qu’ils puissent penser différemment au point où ils en sont dans leur cheminement spirituel. Il ne s’agit pas de dire que toutes les opinions se valent – Paul qualifie de « faible dans la foi » celui qui ne mange que des légumes –, mais d’accepter que les chrétiens puissent disposer d’une certaine marge de manœuvre en ce qui concerne leurs convictions, en fonction de leur arrière-plan et de leur degré de maturité spirituelle.

Paul ajoute que les opinions de notre frère ne sont pas notre affaire mais celle de Dieu : « Qui es-tu, toi qui juges un serviteur d’autrui ? S’il se tient debout, ou s’il tombe, cela regarde son maître. Mais il tiendra debout, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir » (verset 4). Si Dieu a fait bon accueil au non-végétarien, nous n’avons pas à juger ce dernier. S’il a accueilli le végétarien, c’est bien qu’il estimait pouvoir s’accommoder de ses choix alimentaires. Autrement dit, Dieu n’a pas besoin de nous comme gendarmes ! L’important est que « chacun soit pleinement convaincu dans sa propre pensée » (verset 5), cherche à plaire au Seigneur et vive pour le Seigneur. Si nous nous comportons, non en fonction de nos propres convictions, mais du regard des autres, on peut se demander qui nous servons en priorité, Dieu ou les hommes ? Comme l’a dit une femme à son mari pasteur : « Dieu t’aime, et les gens ont un plan merveilleux pour ta vie ! » C’est ce qu’on appelle la liberté chrétienne, un bien si précieux que nous aurions tort de laisser les autres nous en priver.

Il y a toutefois des limites à cette liberté : Dieu ne saurait s’accommoder des opinions qui portent atteinte à la personne et à l’œuvre du Seigneur Jésus-Christ, le Dieu-homme mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification. Caïn et Abel avaient des opinions différentes sur la manière de rendre un culte à Dieu, mais il ne s’agissait pas d’une question secondaire, puisque Dieu a porté un regard défavorable sur l’offrande de Caïn. Et parce que Caïn ne s’est pas laissé remettre en question, il a plus tard assassiné son frère et été condamné à l’errance. Il est donc essentiel de faire une distinction entre les choses fondamentales et les choses secondaires. Rupert Meldenius2, dans une exhortation à la modération, a formulé un simple mot d’ordre en faveur de la paix de l’Église : « Dans les choses essentielles, unité ; dans les choses secondaires, liberté ; en toutes choses, charité. »

La tolérance chrétienne est un trait commun à la plupart des serviteurs de Dieu qui ont laissé leur empreinte dans l’histoire de l’Église. Wesley et Whitefield ont marqué leur époque par leur prédication puissante et les nombreuses conversions qui l’accompagnaient. Bien qu’ils eussent des idées divergentes sur la façon dont la souveraineté divine et la responsabilité humaine s’articulaient, ils étaient très amis. Un disciple de Whitefield lui a un jour posé la question : « Monsieur Whitefield, pensez-vous que vous verrez Wesley au ciel ? » Whitefield lui a répondu : « Non, je ne pense pas… car il sera tellement plus près que moi du trône de Dieu que de là où je serai, il me sera difficile de l’apercevoir ! » La voie de la tolérance est préférable à celle de l’intransigeance, car elle reflète le caractère de Dieu et sa capacité à faire bon accueil aux plus faibles d’entre nous comme aux plus forts.

1 Jerry Bridges, décédé le 6 mars 2016, est surtout connu pour ses écrits sur la sanctification, dont certains ont été traduits en français. Il raconte cette anecdote dans La grâce de Dieu, c’est pour la vie, Europresse, Chalon-sur-Saône, 1992, p. 108.

2 Rupert Meldenius (son vrai nom était Petrus Meiderlin) était un théologien luthérien du 17e siècle, qui a pris la défense de Johann Arndt, précurseur du piétisme, contre les attaques des luthériens intransigeants.

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