Qui suis-je ? Mon identité d’image de Dieu

Par Lydia Jaeger, Directrice des études à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne

L’homme créé en image de Dieu

La création de l’homme en image de Dieu occupe une place clé dans le premier chapitre de la Genèse (Gn 1.26-27). Dans l’ancien Proche-Orient, il n’est pas rare de rencontrer l’idée qu’un roi, ou parfois un prêtre, est image d’un dieu. Mais dans le texte de la Genèse, le privilège est étendu à tous les humains. La démocratisation du statut d’être en image de Dieu implique que des personnes ordinaires, et non seulement des rois ou des prêtres, ont un rôle à jouer dans l’histoire. 

Ainsi, les généalogies de la protohistoire biblique (Gn 5 ; 10) concernent des liens de filiation de personnes sans titre particulier, plutôt que des dynasties royales, comme c’était le cas dans des textes parallèles du Proche-Orient ancien. Les exploits culturels ne sont pas présentés comme des dons divins, mais comme relevant de l’action humaine : villes, musique, fonte du bronze et du fer, viticulture (Gn 4.17, 21-22 ; 9.20). L’homme a le pouvoir d’agir et de façonner son environnement. L’histoire humaine se déploie dans le temps prolongé de ce septième jour. Le repos sabbatique de Dieu souligne la responsabilité confiée à l’homme (Gn 2.2-3). 

Le mal : tragédie ou choix ?

Responsabilité dont l’homme a affreusement abusé, en cédant à la voix du Tentateur : « Par la faute d’un seul, la mort a régné » (Rm 5.17). La Bible se distingue des autres visions du monde, en attribuant le malheur de notre situation au choix posé par l’homme – et non à une condition naturelle qu’il subirait (matière mauvaise pour les gnostiques ; imperfections du processus évolutionniste ; la douleur qui caractérise tout ce qui n’a pas encore atteint le nirvâna, le non-être bouddhiste…). La doctrine du péché originel, c’est-à-dire ayant pris son origine dans l’histoire, ne se conçoit sans la liberté confiée à l’humanité par la création. Les hommes ne sont pas victimes de conditions tragiques qui rendaient inévitable le mal. Et même après la révolte initiale, ils ne sont pas livrés à un destin sur lequel ils n’auraient pas de prise. Le salut ouvre un avenir que chacun est appelé à saisir, mais qu’il peut aussi refuser (Gn 4.6-7 ; 5.22 ; 6.8 ; 12.1 ; Dt 30.15-20 ; etc.).

Le monothéisme éthique de la Bible

Cet accent sur le poids des choix humains dans l’histoire va de pair avec le caractère éthique de la religion biblique. Il nous est difficile de saisir l’originalité de la révélation biblique,  tant il nous semble évident que le bien est défini par rapport à la volonté de Dieu. Même l’athée qui tient l’existence de Dieu pour exclue à cause du mal observé dans le monde raisonne dans le cadre du théisme éthique : si Dieu existe, il doit être bon et faire régner la bonté dans le monde. Mais ce n’est vrai que pour le Dieu biblique, parfaitement bon et suffisamment puissant pour assurer le règne de sa loi. 

Ni les dieux du Proche-Orient ancien, ni ceux du panthéon grec ou romain ne justifient un tel raisonnement. Dans la mesure où ils sont pléthore, aucun ne peut imposer sa volonté. Souvent, ce que veut un dieu entre en conflit avec ce que veut un autre. Et leur comportement n’est, la plupart du temps, guère exemplaire. Certes, l’homme a des obligations envers les dieux, mais elles sont d’abord d’ordre cultuel ou magique. L’adoration due aux dieux n’englobe pas directement le comportement entre humains, contrairement à ce qu’écrit Jacques sur la « religion pure et sans tache » (Jc 1.27).

Quant aux versions philosophiques du paganisme grec, si leur conception du divin est certes épurée, elle ne permet pas non plus de fonder une morale : « Absorbé dans la contemplation de sa propre pensée, le Premier Moteur immobile [d’Aristote] ne légifère pas pour régler la conduite des hommes ; à l’homme de faire sa vie morale et d’en recueillir les suites, Dieu n’y est pas intéressé » (Étienne Gilson, Lesprit de la philosophie médiévale, 1931-1932, ch. XVI). Ou pour le dire avec les mots de saint Bonaventure (1221 – 1274) : « Les philosophes grecs ne savaient pas que le péché est une offense à la majesté divine. »

L’homme – partenaire d’alliance pour Dieu

La notion d’alliance que Dieu conclut avec des hommes est centrale dans la Bible. Et aussi originale : aucune autre religion (même pas l’islam, pourtant issu du terreau biblique) ne s’est construite sur l’idée que Dieu ferait alliance avec les hommes.

Cette particularité biblique implique de nouveau un statut exalté de l’homme. Jésus y trouve l’argument décisif contre la négation de la résurrection par les Sadducéens (Luc 20.37-38). Si le Dieu de la vie, a fait alliance avec des hommes, au point de devenir leur Dieu, il ne pourra tolérer qu’ils soient anéantis par la mort. Comme le remarque Étienne Gilson, membre de l’Académie française :

Comme il ne dépendait pas de nous d’exister, il ne dépend pas de nous de ne plus exister. Le décret divin nous a condamnés à l’être ; faits par la création, refaits par la rédemption, et à quel prix ! nous n’avons le choix qu’entre une misère ou une béatitude également éternelles. Rien de plus résistant qu’une individualité de ce genre, prévue, voulue, élue par Dieu, indestructible comme le décret divin lui-même qui l’a fait naître. (Gilson,op.cit.)

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