L’autorité de la Bible

Par Henri Blocher.

Au cœur du christianisme : la Bible ou Écriture Sainte. « C’est le principe, écrivait Jean Calvin, qui discerne notre religion de toutes autres : à savoir que nous savons que Dieu a parlé à nous et sommes certainement assurés que les Prophètes n’ont pas parlé de leur propre sens, mais comme organes et instruments du Saint Esprit, qu’ils ont seulement annoncé ce qu’ils avaient reçu d’en-haut » (Commentaires sur le Nouveau Testament IV, sur 2 Tm 3.16). Cette affirmation vaut pour tout le christianisme, « notre religion » dans l’expression de Calvin, mais par excellence pour cette entreprise de retour aux sources et de recentrage purificateur qu’on appelle « Réforme/Réformation », et dont les chrétiens évangéliques s’estiment les héritiers légitimes.

 

I. Pourquoi cette place de la Bible ? Elle correspond au Dieu de la foi chrétienne. L’Écriture vaut comme Parole de Dieu et le Dieu biblique est le Dieu qui parle. Le culte païen privilégie souvent soit le bruit, soit le silence – les deux contraires de la parole. L’apôtre Paul oppose à l’expérience païenne des forces mystérieuses entraînant vers des idoles muettes, l’œuvre de l’authentique Esprit divin, celle-ci marquée par la confession claire et sobre, énoncée dans un langage intelligible (1 Co 12.2s. ; cf. son allusion au tintamarre de « l’airain de Dodone », que les prêtres de ce sanctuaire avaient rendu célèbre, 13.1, et son insistance sur l’intelligibilité 14.7-11). Le choix de la parole d’abord pour la communication divine, plutôt que le choix du rite ou de l’extase, convient à la structure de l’alliance : Dieu veut susciter face à lui des partenaires responsables, dans une union que la médiation de la parole protège de toute fusion-confusion.

Pour jouer son rôle dans la responsabilité, la Parole de Dieu doit atteindre l’humanité à son niveau : elle doit s’exprimer dans un langage humain. La Parole de Dieu est « parole » au sens plein du terme : usage des mots pour raconter, promettre, commander, enseigner, interpeller, pour dire l’amour. La générosité de Dieu implique cette condescendance : Dieu descend jusqu’à nous pour nous parler comme nous parlons, et nous pouvons donc entendre. Cette démarche est aussi solidaire des traits du Dieu biblique. Elle est rendue possible par sa souveraineté : comme tout est de lui et par lui, soumis à sa volonté, rien dans l’univers créé ne résiste à sa décision de s’exprimer ; l’idée que nos mots ne pourraient pas porter la parole de Dieu suppose un dualisme, une étrangeté par rapport à Dieu, insurmontable pour lui – mais Dieu, maître absolu de sa création, s’en sert comme il lui plaît. Cette démarche illustre également la volonté de descendre parmi les humains et d’habiter au milieu d’eux, volonté qui trouve son expression ultime dans l’incarnation de Dieu le Fils. Dieu se fait homme, et parle donc la langue des hommes : c’est le fait central, et c’est pourquoi nous lisons que les prophètes ont parlé par l’Esprit du Christ (1 P 1.11), comme les apôtres-prophètes du Nouveau Testament (2 Co 13.3, « le Christ parle par moi », etc.).

Le lien à l’incarnation de Dieu le Fils (appelé « Parole », logos, par Jean dans un sens analogique et fondateur) se confirme si l’on considère le rôle des « prophètes et apôtres ». Dieu peut se passer de tels intermédiaires, et il semble s’être contenté de vibrations acoustiques quand il a parlé du ciel à la manière humaine lors du baptême au Jourdain et sur le mont de la Transfiguration. Le reste du temps il a préféré parler par ses porte-parole humains, de telle sorte que les auteurs humains de la Bible sont authentiquement auteurs (et non pas seulement porte-plume) avec Dieu. Comme la parole du Fils est pleinement divine et pleinement humaine à la fois, car il est Dieu et homme, leur parole est à la fois la leur et celle de Dieu. Dans leur cas, ce n’est pas l’union en une seule Personne des deux natures (comme dans le Christ) qui le permet : c’est l’action de l’Esprit de Dieu en eux qui porte ce fruit, qu’on désigne par le terme d’inspiration (dérivé du latin spiritus, « esprit »). L’Esprit de Dieu les a portés, selon la traduction littérale du verbe employé par 2 Pierre 1.21 : il les a habités, animés, guidés, gardés. La parole biblique est ainsi pleinement celle des auteurs et, sans déperdition, Parole de Dieu.

 

II. Comment nous assurons-nous de la vérité de cette doctrine (toute classique) ? On peut aligner divers arguments, non dénués de force. L’apologétique arguait, par exemple, des prophéties et de leur accomplissement : cette considération était si chère à Blaise Pascal qu’il a appris l’hébreu pour étudier les textes prophétiques ! Je suggère, cependant, que l’argument principal doit être le témoignage de Jésus-Christ lui-même. Quelqu’un qui le confesse son Seigneur, dans le sens absolu de cette confession, peut-il prétendre mieux savoir que lui la vérité de l’Écriture ?

Or, le seul Jésus que font connaître les documents historiques a enseigné l’inspiration plénière de l’Écriture, elle était pour lui la Parole de son Père. Aucune trace, sur ce point, du moindre désaccord avec le judaïsme officiel (qu’il ne se privait pas de critiquer quand il n’était pas d’accord !). Jésus s’appuie sur une expression du texte, avec le commentaire que « l’Écriture ne peut être abolie (littéralement déliée) » (Jn 10.35) ; il conclut toute discussion par son « Il est écrit » – jamais un doute. De nombreux critiques, qui, hélas ! déclinent l’invitation à le suivre, reconnaissent que le Jésus historique ne peut avoir eu une autre « bibliologie ». Des disciples qui veulent le suivre comme leur Maître devraient s’en satisfaire !

 

III. Les conséquences ? Je n’en peux donner que la plus brève indication. Les deux premières vont ensemble : l’autorité, la vérité ou « fiabilité ». Si Dieu est l’Auteur de l’Écriture, c’est son autorité qui s’exerce par elle. Comme aimait dire Calvin, la Bible est le sceptre de son règne sur les siens. Si Dieu nous parle par ses porte-parole, lui qui ne peut ni tromper ni se tromper, nous pouvons recevoir avec une entière confiance ce qu’il dit.

Imputer une erreur met en cause l’autorité et la vérité. C’est pourquoi l’inspiration a pour corollaire l’infaillibilité ou inerrance (synonymes) des énoncés bibliques bien compris. La conviction n’a rien de récent ou d’extrémiste : «  Si la constance, la perpétuité et l’universalité d’une doctrine est une règle de foi, écrivait l’érudit catholique F. Prat, il n’est pas de dogme plus solidement établi que l’inerrance de l’Écriture ». Elle demeure essentielle pour la foi évangélique.

Deux autres conséquences méritent qu’on les développe… une autre fois. Si la Bible est la Parole que Dieu a dite, il parle par elle au présent. Par elle nous le connaissons, lui, et goûtons sa communion. Et son Esprit nous éclaire sur le sens, corrigeant notre myopie naturelle… La lecture ne saurait aller sans prière !