Les apprentissages de la prière

Par Thierry Huser, pasteur à Paris

Cet article est extrait du livre « La prière : quel vis-à-vis avec Dieu ? » (Éditions Farel) dans la série GBU « Question Suivante ».

Comment entrer et progresser dans la prière ? Quelles sont les difficultés rencontrées et quelles sont les aides pour y faire face ?

Choisir un lieu

Jésus commence par inviter à prier dans un lieu retiré, dans le secret. Il s’oppose ici à ceux qui seraient tentés de faire étalage de leur spiritualité lors des assemblées religieuses ou dans les rues,. La prière n’est pas un spectacle où nous mettons en scène notre spiritualité. L’avertissement vaut pour la prière publique, mais aussi pour les fois où, seuls avec nous-mêmes, nous nous « admirerions » pour notre implication ou nos paroles.

Jésus propose à ses disciples de choisir « la pièce la plus retirée » de la maison. Une pièce dont on peut « fermer la porte » (Matthieu 6.6). Cette insistance sur l’intimité dit la nature profonde de la prière : un vis-à-vis, personnel, entre Dieu et nous. Elle rappelle aussi que nous vivons dans l’espace et le temps. Aller physiquement vers un lieu où nous nous présentons devant Dieu « donne corps » à notre démarche. Fermer une porte veut dire que l’on décide de se couper de ce qui pourrait nous solliciter, pour se consacrer à la rencontre que l’on a désirée. Il y a là des gestes et des attitudes à retrouver. Nous vivons de plus en plus dans la dispersion permanente. Présents physiquement en un lieu, nous pouvons tout à la fois écouter, prendre des notes, surveiller notre courrier électronique, nos textos, et chatter avec plusieurs correspondants. Pensons aux scènes de couples, au restaurant, parasitées par un téléphone portable que l’on n’a pas voulu éteindre. Nous ne savons plus faire le choix d’accorder notre attention à une personne, en un lieu. Nous cédons au sentiment grisant d’ubiquité. Nous y perdons le sens du temps et du geste choisis, auxquels est accordée une valeur unique.

Notre prière a besoin de temps et d’espaces protégés. Bien sûr, il est bon de pouvoir s’adresser à Dieu en tout temps et en tout lieu, dans la rue, la voiture, les transports, au cœur même de nos activités. Mais l’approfondissement demande un temps à part et protégé. C’est aussi tout simplement une question de respect envers Dieu. Il vaut la peine de réfléchir aux lieux qui pour nous favoriseraient une rencontre « protégée » avec Dieu. Un espace « réservé », chez nous ? Un espace de nature ou un endroit calme en « extérieur » ? Certains découvrent l’aide que leur apporte de transformer un coin de chambre en espace de prière, moyennant quelques symboles (une Bible, un verset, une bougie). Ne minimisons pas l’utilité d’un tel « lieu », si nous en avons la possibilité.

L’autre avantage du « lieu » choisi est qu’il invite à des « rendez-vous » réguliers dans le temps. On retrouve le Seigneur, de rendez-vous en rendez-vous. Le lieu se charge de la richesse de ce qu’on y a déjà vécu. On se fait une joie de s’y rendre à nouveau. Il ne s’agit pas de sacralisation, mais de la richesse d’une mémoire, et de la continuité d’un vécu. Certains lieux de souvenirs comptent pour nous. Pourquoi n’en irait-il pas de même de la mémoire de ce que nous vivons avec Dieu ?

Lorsqu’il est possible de véritablement prier « dans le secret », le corps peut participer, plus librement à la prière. On peut parler à haute voix, articuler, murmurer, chanter. On peut trouver des gestes qui correspondent à ce que l’on exprime : tendre les mains vers Dieu (Psaume 88.10), lever les yeux vers le Seigneur (Psaume 123.1), fléchir les genoux (Daniel 6.10 ; Ephésiens 3.14), exprimer par le geste son indignité (« Le péager n’osait même pas lever les yeux au ciel mais se frappait la poitrine » Luc 18.13). Le corps porte et soutient l’engagement du cœur et de la parole. Certains éprouvent une aide à prier en marchant. Le « lieu secret » permet cette liberté d’être devant Dieu, dans la mesure et l’authenticité.

 Libérer un vrai temps

Comment parler avec justesse de la durée de la prière ? L’échantillonnage biblique va de la prière-flash, qui jaillit en situation (Néhémie 2.4), à des nuits (Luc 6.12), ou des périodes de prière régulière pour un même objet (Néhémie 1.4). Jésus aurait souhaité voir ses disciples « veiller une heure » avec lui (Marc 14.37). Daniel priait « trois fois le jour » (Daniel 6.10), sans qu’on sache la durée de ses prières. D’autres ont mis à profit les « veilles de la nuit » (Psaume 63.6). Gardons cette palette largement ouverte. Notre vie de prière doit rester modulable, tout en ayant une régularité. Préservons-nous de tout légalisme, qui transforme d’utiles disciplines en règles tyranniques, et permet l’orgueil spirituel (Luc 18.12). Rappelons qu’une journée que l’on n’a pas pu commencer par un temps de prière peut malgré tout être vécue sous le regard de Dieu, être utile et bénie par le Seigneur.

Mais la prière a besoin qu’on lui accorde un vrai temps si elle doit structurer notre vie. Elle a besoin de régularité si nous voulons authentiquement « marcher avec Dieu ». Elle a besoin de durée pour pouvoir se déployer, prendre corps en notre vie, et ne pas être simplement une formalité que l’on expédie. Elle nécessite, comme toute rencontre, un cadre préservé pour pouvoir se vivre dans la paix. Elle mérite d’être protégée dans le programme de nos semaines.

Protéger la prière, c’est donc lui « consacrer » un temps, choisir un moment rien que pour elle. Il vaut la peine de faire un tel choix d’exclusivité, même sur un temps limité. On retirera plus de profit de dix minutes authentiquement mises à part, que d’une heure « d’entre deux », entre prière et ouverture à toutes les sollicitations qui surviennent.

Protéger la prière, c’est aussi lui « réserver » un temps, et savoir lui donner priorité par rapport à d’autres activités. Ce choix semble difficile lorsque les activités sont nombreuses et pressantes. Il n’est pas évident à faire lorsque les obligations ne dépendent pas de nous (par exemple, un parent avec de jeunes enfants).

La discipline d’un rendez-vous de prière régulier, à un ou plusieurs moments choisis de la journée, est la meilleure façon de valoriser la prière dans notre vie. Il faut l’envisager comme une décision personnelle et volontaire, et non comme une obligation extérieure. Elle exprime le désir de ne pas mettre la prière à la remorque du reste de notre vie, mais de l’inscrire comme un élément qui nous structure. Elle a l’avantage d’éviter de « négocier » chaque jour si l’on va prier ou non. Elle permet une continuité, un approfondissement, des progrès. On veillera à ne pas en faire un cadre culpabilisant, à rester souple, à se fixer des objectifs réalisables, à s’accorder la possibilité de compenser un rendez-vous manqué ou écourté. L’important n’est pas de respecter scrupuleusement « notre » discipline, mais de « marcher avec Dieu » (Genèse 5.22).