« Évangéliser ? Moi, jamais ! » ou L’évangélisation pour les nuls (comme moi)

Par Jonathan Chaintrier

Tous les chrétiens doivent-ils « évangéliser » ? Entre la tentation de la passivité et le danger de l’activisme, la Bible nous offre un trésor de sagesse.

Samuel est né dans une famille chrétienne. Dès sa conversion en classe de terminale, il éprouve un ardent désir d’évangéliser. Mais au fil des mois, ce désir se transforme en véritable obsession. Samuel est convaincu que tous ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ sont perdus. Du coup, dès que l’occasion de parler de son Sauveur se présente, il la saisit. Et quand l’occasion ne se présente pas, il la crée ! Jusqu’au jour où ce fardeau commence à devenir de plus en plus lourd à porter. Chaque occasion manquée laisse Samuel dans un état de culpabilité affligeante. Il n’ose même plus emprunter les transports en commun de peur d’entendre la voix de l’accusation retentir dans son cœur…

Pression ou impression ?

Certains chrétiens, conscients de l’importance de transmettre la bonne nouvelle qu’ils ont entendue, se privent parfois de cette joie, estimant qu’ils ne sont pas doués pour l’évangélisation. D’autres, à l’instar de Samuel, considèrent que l’évangélisation est une obligation et le vivent parfois comme un tourment, une pression. Et si cette pression n’était finalement… qu’une impression ? D’autant que, dans les épîtres du Nouveau Testament qui ont notamment été rédigées pour réguler la vie des églises locales, les chrétiens ne sont pas exhortés à « évangéliser ». En fait, les auteurs bibliques emploient principalement deux verbes pour désigner cette activité : euangelizomai (annoncer une bonne nouvelle) et kerusso (proclamer ou prêcher). Deux verbes qui reviennent respectivement plus de 50 fois dans le Nouveau Testament et qui, à deux exceptions près1, sont réservés à des ministères spécifiques d’enseignement tels que ceux de Jean-Baptiste (Lc 3.18), de Jésus (Lc 4.43) et ses disciples (Lc 9.6), des apôtres (Ac 5.42), de Philippe (diacre en Ac 8.12), de Barnabas (enseignant en Ac 14.7), de Paul (Rm 1.15) et des évangélistes. La question qui se pose est donc la suivante : si les chrétiens des églises ne sont pas invités à « annoncer » ou à « prêcher » l’évangile dans les épîtres, que sont-ils appelés à faire2 ? À se défendre quand on leur demande raison de l’espérance qui est en eux (1 Pierre 3.15) ou à répondre comme en Colossiens 4.5-6 : « Conduisez-vous avec sagesse envers ceux du dehors. Racheter le temps. Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun. » Un passage regorgeant de sagesse et dans lequel Dieu nous permet d’envisager l’évangélisation dans une perspective encourageante, dépourvue de toute pression et de tout sentiment de culpabilité.

Tel un renard des surfaces

De la même manière que Paul se doit d’annoncer le mystère du Christ (« comme je le dois » selon le verset 4), que doivent faire les Colossiens ? Quel est leur devoir correspondant ? Réponse au verset 6 : ils doivent répondre (« comme vous devez répondre à chacun ») en étant sur le qui-vive, à l’affût de la moindre occasion de parler de Dieu tel un « renard des surfaces »3. Cette compréhension des choses semble être confirmée par la logique des versets 5 et 6. Quel est le premier devoir des Colossiens ? « Se conduire avec sagesse envers ceux du dehors et racheter le temps4 » (v. 5). Et quel est le second ? « Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce5, assaisonnée de sel6 afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun » (v. 6). Voyez-vous l’enchaînement logique de ces versets ? Qu’est-ce que présuppose le verbe « répondre » au verset 6 ? Des questions. Qu’est-ce qui a provoqué ces questions ? Une conduite empreinte de sagesse.

Une sagesse libératrice

Bien entendu, cette invitation à la sagesse n’est pas un appel à la passivité mais plutôt à la réactivité qui peut se manifester sous plusieurs formes, comme l’illustre l’histoire de Constantin.

Issu d’une famille athée, Constantin devient chrétien à l’étranger. De retour en France, il retrouve ses amis, sa famille et son club de rugby. À la fin d’un match, un coéquipier devenu proche ne peut s’empêcher de lui demander : « Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’es plus le même homme. Tu ne donnes plus de mauvais coups. Tu ne traites plus tes adversaires de tous les noms d’oiseaux. Tu ne bois plus comme un trou après les matchs. Tu vas bien ? ».

Comme vous pouvez l’imaginer, Constantin a eu une occasion en or d’ouvrir sa bouche pour rendre compte de sa foi et expliquer pourquoi il vit comme il vit. Une attitude de renard des surfaces lui a permis de répondre à une question ou de réagir à une situation pour susciter des questions. Cette attitude est-elle la nôtre ? Avons-nous à cœur de parler de Dieu à nos amis ? Profitons-nous de toutes les occasions qui s’offrent à nous dans ce but ?

Il va de soi que cette invitation au témoignage réactif ne disqualifie pas les croyants pour le témoignage actif et l’annonce directe de l’évangile. D’autant que les premiers chrétiens ont littéralement « annoncé l’évangile » (Ac 8.4 et 11.20) et que Jésus associe la prédication au témoignage (Mt 24.14). Mais, entre la tentation de la passivité et le danger de l’activisme, saisissons-nous la sagesse libératrice de Dieu en Colossiens 4.5-6 ?

Samuel, cité en introduction de cet article, témoigne de cette libération dans sa vie : « Un jour, Dieu m’a libéré grâce à la vérité de sa Parole. J’ai commencé à comprendre la souveraineté de Dieu dans l’évangélisation, et mon rôle en tant que chrétien. Grâce à des passages comme Colossiens 4.5-6, j’ai compris que ma mission était avant tout de vivre l’évangile dans toutes mes relations et de laisser le maître de la moisson ouvrir des portes. Mes amis non-chrétiens ont commencé à ressentir ce changement dans mon cœur. Une conséquence directe de cette transformation a été l’établissement d’amitiés bien plus fortes avec eux. Au lieu de leur rabâcher l’évangile dans chaque conversation, j’ai simplement essayé de vivre mon identité en Christ devant eux. Et le plus frappant, c’est que ce sont eux qui ont commencé à me poser des questions ! Aujourd’hui, je n’éprouve plus aucun sentiment de crainte et de culpabilité quand je pense à l’évangélisation. Je vis sous la grâce et je laisse simplement Dieu ouvrir des portes pour sa Parole. Je vois des fruits que je n’aurais jamais si je n’avais pas découvert ce message libérateur ».

1Actes 8.4 et 11.20 : les deux seuls cas (sur 53 occurrences) où le verbe euangelizomai concerne également les chrétiens en général.

2Le but de ce paragraphe n’est pas de dire que les chrétiens ne doivent pas évangéliser mais de souligner que les épîtres du Nouveau Testament utilisent d’autres verbes, relevant plus du témoignage, pour encourager les croyants à parler de Dieu. Cette réflexion est développée dans le dernier numéro de la série Question Suivante : Dis-moi qui tu suis (éditions Farel).

3Expression désignant un avant-centre de football capable de saisir une occasion pour marquer un but dans la surface de réparation.

4Racheter le temps ou ne pas perdre de temps mais profiter de la moindre occasion pour répondre et témoigner.

5De grâce ou de douceur surtout quand il s’agit de répondre à des objections provocatrices.

6Rendre la conversation intéressante, donner envie aux autres d’en savoir plus.

 

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