Stephanie Clarke, professeure émérite à la faculté de biologie et de médecine de Lausanne
L’expérience de mort imminente désigne des visions et des sensations extraordinaires que certaines personnes rapportent après avoir été confrontées à leur propre mort. Il s’agit d’un phénomène complexe dont l’explication se base tantôt sur les processus physiologiques tantôt sur des interprétations spirituelles.
Expérience vive, intense et extraordinaire
Les premières descriptions d’une expérience de mort imminente remontent au début du Moyen Age. Ayant gagné en visibilité dans les années 1970-80 par les écrits de la Dre Elisabeth Kübler-Ross et du Dr Raymond Moody, l’expérience de mort imminente est aujourd’hui l’objet de nombreuses investigations en médecine et en neurosciences cognitives.
Passer par l’état de mort imminente peut s’accompagner d’une expérience souvent vive, intense et extraordinaire. Les patients décrivent des visions impressionnantes, telles que le passage par un tunnel vers une lumière éclatante, accompagnées d’une sensation de bien-être et de paix1. Certaines personnes relatent l’impression d’avoir quitté leur propre corps ou rencontré leurs proches qui sont décédés et qu’ils rejoignent dans l’au-delà. D’autres voient se dérouler devant elles l’entier de leur existence. Dans certains cas, elles décrivent un état de connaissance parfaite ou d’union avec des entités spirituelles. Les souvenirs de l’expérience de mort imminente sont en général détaillés, portant sur des aspects perceptuels, émotionnels et relationnels.
Bien que la plupart des expériences de mort imminente qui sont rapportées décrivent un vécu positif, certaines peuvent être perçues comme négatives, parfois accompagnées d’une détresse émotionnelle2.
Des expériences de mort imminente surviennent chez des personnes appartenant à des religions différentes aussi bien que chez des personnes athées ou agnostiques.
Plusieurs études ont souligné que les personnes qui ont fait l’expérience de mort imminente présentaient une prédisposition aux croyances spirituelles ou un trait de personnalité portant sur l’ouverture et l’imagination, mais pas une tendance à évoquer de faux souvenir3.
L’expérience de mort imminente laisse une empreinte – la plupart des personnes se disent changées dans leur attitude face à la vie4.
Confronté à sa propre mort
Médicalement, la mort est définie par l’arrêt cardiaque et/ou une défaillance complète des fonctions cérébrales. Les processus critiques qui mènent ultimement à la mort peuvent s’étendre sur des dizaines de minutes – la personne est alors considérée en état de mort imminente. Dans certaines circonstances ce processus peut être interrompu, notamment par des mesures médicales. Ainsi certaines personnes retrouvent leurs fonctions vitales, recouvrent leurs capacités cognitives et peuvent ainsi rapporter l’expérience vécue durant ces moments.
L’expérience de mort imminente peut survenir dans le contexte de différentes maladies ou circonstances entraînant potentiellement la mort. Des comptes-rendus le documentent chez des personnes qui ont échappé à une noyade ou qui ont survécu à une hypothermie, à divers traumatismes ou à un arrêt cardio-respiratoire. Des études épidémiologiques, effectuées dans un contexte bien contrôlé, rapportent une incidence de 6-23% chez les survivants d’un arrêt cardiaque5.
Cette expérience extraordinaire peut aussi survenir dans des situations qui – d’un point de vue médical – ne sont pas critiques et ne mènent habituellement pas à la mort. Ceci a été rapporté par exemple lors d’épisodes d’hypoglycémie chez des personnes souffrant de diabète, une situation a priori réversible que le patient sait gérer. L’analyse des dossiers médicaux des patients hospitalisés qui ont fait cette expérience marquante tout en se croyant proches de la mort, a révélé que seule la moitié d’entre eux se trouvaient effectivement dans une situation médicale critique6.
Un état de conscience perturbé
La phénoménologie très vive rapportée par les patients présente un paradoxe. La mort imminente est associée à un état de crise physiologique au niveau cérébral, marqué par un manque d’oxygène et/ou une perfusion cérébrale insuffisante, et donc a priori un fonctionnement cérébral profondément perturbé. Or, notre expérience consciente des évènements et notre capacité de nous en souvenir dépend du fonctionnement cérébral.
Face à ce paradoxe, certains auteurs considèrent l’expérience de mort imminente comme une preuve manifeste que notre esprit, notre âme ne sont pas limités au fonctionnement cérébral7.
D’autres, par contre, interprètent l’expérience de mort imminente dans le contexte du dysfonctionnement du cerveau mourant8. Ils la classent parmi les situations cliniques dans lesquelles certains aspects de la conscience sont perturbés, telles que le coma, l’anesthésie générale, l’état de conscience minimale, le sommeil paradoxal ou des hallucinations9. Lors de l’expérience de mort imminente le patient est dans un état non-éveillé, déconnecté du monde extérieur, tout en gardant une conscience partielle de certains processus cognitifs internes.
Argument en faveur de notre foi ?
Notre foi est ancrée dans des événements historiques – la crucifixion de Jésus-Christ et sa résurrection, suivie de l’effusion de l’Esprit. Mais elle est aussi « la ferme assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas », comme l’écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux (He 11.1).
Devons-nous comprendre les récits d’une expérience de mort imminente comme un coup d’œil privilégié vers une vie après la mort, comme un aperçu de ce que nous espérons, mais ne voyons pas ? Certains témoignages le semblent suggérer.
Néanmoins, nous ne pouvons pas généraliser cette observation. Les analyses détaillées des récits parlent à l’encontre d’un lien spécifique avec la foi chrétienne. Le contexte religieux du patient – chrétien, bouddhiste, taoïste ou autre – se reflète souvent dans ce qui est rapporté. De plus, lorsque le vécu est situé dans un contexte chrétien, son contenu ne correspond pas toujours au message biblique. Sans être un aperçu de l’au-delà, l’expérience de mort imminente peut néanmoins susciter un tournant dans la vie, y compris vers des valeurs spirituelles.
1 Mashour GA et al. (2024) Consciousness and the dying brain. Anesthesiology 140, 1221-1231 ; van Lommel P et al. (2001) Near-death experince in survivors of cardiac arrest : a prospective study in the Netherlands. Lancet 358, 2039-2045
2 Cassol H et al. (2019) A systematic analysis of distressing near-death experience accounts. Memory doi.org/10.1080/09658211.2019.1626438
3 Rousseau AF et al. (2023) Incidence of near-death expériences in patients surviving a prolonged critical illness and their long-term impact : a prospective observational study. Critical Care 27, 76 ; Bicego A et al. (2023) Personality traits and pattern of beliefs of near-death(-like) experiencers. Frontiers in Human Neuroscience, DOI 10.3389/fnhum.2023.1124739 ; Martial C et al. (2018) False memory susceptibility in coma survivors with and without a near-deth experience. Psychol Res 82, 806-818
4 Sutherland, C. (1992) Reborn in the Light: Life after Near-Death Experiences. Bantam Books, New York
5 Mashour GA et al. (2024) Consciousness and the dying brain. Anesthesiology 140, 1221-1231 ; Kovoor JG et al. (2024) Near-death expériences after cardiac arest : a scoping review. Discover Mental Health 4, 19 ; Hashemi A et al. (2023) Explanation oof near-death expériences : a systematic analysis of case repors and qualitative research. Frontiers in Psychology DOI 10.3389/fpsyg.2023.1048929
6 Owens JE et al. (1990) Features of « near-death experience » in relation to whether or not patients were near death. Lancet 336, 1175-1977
7 Woollacott M et al. (2023) Reflections on extraordinary knowing : Insight into the nature of the mind. Explore 19, 500-505 ; van Lommel P (2011) Near-death expériences : the experience of the self as real and not as an illusion. Annals New York Acad Sci 1234, 19-29
8 Mobbs D & Watt C (2011) There is nothing paranormal about near-dath expériences : how neuroscience can explain seeing bright lights, meeting the dead, or bing convinced you are one of them. TICS 15, 447-449
9 Martial C et al. (2020) Near-death experiences as a probe to explore (disconnected) consiousness. TICS 24, 173-183