« Comment Dieu peut-il justifier le pécheur et avoir une relation avec lui tout en restant juste ? ». C’est la problématique de la lettre de Paul aux romains. En un seul enchainement logique, l’apôtre va résumer la solution à cette question et disons-le franchement, elle est assez dérangeante au premier abord.
Le passage que nous allons commenter est le début du bouquet final du feu d’artifice commencé au début du chapitre 8 de la lettre aux Romains :
Romains 8.29 Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour qu’il soit le premier-né d’une multitude de frères. 30 Et ceux qu’il a destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.
Dès la première lecture de ce passage, on comprend que Dieu est totalement maître de la vie de ceux qui mettent leur foi en Jésus et ce, du premier cri au dernier souffle ou, pour être encore plus fidèle au texte, de la conception à la décomposition. Cette description pourrait, a priori, être vue comme effrayante puisqu’elle semble exclure toute liberté humaine. Dieu serait-il un marionnettiste ?
Highway to hell : La Situation est absolument catastrophique
Quand on regarde le contexte du passage, on comprend que Dieu, loin d’être un manipulateur, est surtout un sauveteur qui arrache ses créatures d’une vie littéralement infernale. Dans sa lettre aux Romains, Paul commence par faire un constat extrêmement pessimiste de la nature humaine : les païens font absolument n’importe quoi en adorant les créatures au lieu du Créateur (chapitre 1) et les juifs qui ont pourtant reçu la loi de Moïse ne font pas mieux (chapitre 2). Face à cette dépravité totale, peut-il venir un espoir de la part des fils d’Adam ? Non, ils ne peuvent s’empêcher d’imiter leur premier père et chef d’alliance puisqu’ils sont configurés à son image. Pire, le Péché n’est pas qu’une imitation trans-générationnelle, c’est aussi une réalité spirituelle. Dans le Temple de Jérusalem, à des juifs pieux qui avaient mis leur foi en lui, Jésus est allé jusqu’à déclarer que leur père était le diable (Jean 8.44) parce qu’ils étaient incapables de comprendre leur esclavage au Péché et donc leur besoin d’en être délivrés ! Satan utilise le Péché comme un virus mortel, une drogue ensorcelante et avilissante. Grâce à cette laisse invisible, véritable camisole spirituelle, prison sans barreau, nous faisons le mal que nous ne voulons pas faire et nous n’arrivons pas à mettre en pratique le bien que nous voudrions (Romains 7).
La métaphore de l’addiction
Si l’on ne comprend pas le diagnostique funeste de la dépravité totale, si l’on ignore la monstrueuse réalité spirituelle qui évacue tout espoir terrestre, on est dans l’incapacité d’appeler au secours quelqu’un qui pourrait nous sortir de là. Si l’on se croit tout à fait libre de toute contrainte morale, on s’écrira alors « mangeons et buvons car demain nous mourrons ! »… et l’on finira par mourir et constater que tout finira par un jugement (défavorable) de Dieu ! Si l’on est religieux on se contentera de vivoter dans la médiocrité tiède de règles auto-justificatrices, telle la grenouille engourdie en train de se faire ébouillantée… et l’on finira par mourir pour constater que ces règles n’étaient pas suffisantes pour assurer le Salut de la part d’un Dieu 3 fois saint qui exige la perfection. Ou bien, pour les plus lucides, on comprendra que le cadre est trop dur à tenir, qu’il n’y a que trop de peu de signes d’amélioration morale malgré les efforts et, tels les hébreux dans le désert, on se découragera jusqu’à retomber dans l’esclavage initiale comme le chien qui retourne à son vomi. L’alcoolisme ou la toxicomanie sont les meilleurs exemples pour décrire notre rapport au Péché : un alcoolique commencera par nier son problème, ensuite il démontrera qu’il adore ce qui le détruit en retombant inexorablement dans ses mauvaises habitudes même après des mois/années d’abstinence « volontaire ». Une telle personne peut-elle être sauvée grâce à sa propre volonté ? Non, il lui faut une aide extérieure qui l’extrairait de son cycle infernal malgré elle et qui l’encadrerait sévèrement pour le protéger de cette substance destructrice qu’il chérit plus que tout sur terre. Dans ce cas-là, la liberté est un ennemi mortel. Mais même avec une solide surveillance et un soutien moral, psychologique de tous les instants, l’envie sera toujours là. Les proches aimeraient prendre le contrôle du malade, aller dans son cerveau pour nettoyer toute trace du satané virus mais c’est impossible. La vigilance et la surveillance sont donc les meilleurs pis-aller pour ne pas retomber… comme la loi de Moïse (Galates 3) ou d’autres règles morales qui permettaient de limiter l’impact du Péché. Mais pour le Péché la situation est bien pire que pour l’addiction puisque toute l’humanité est touchée. Il n’y en a pas un pour relever l’autre. Ha, on me signale dans l’oreillette que finalement si !
Dépravité totale : meilleure alliée de l’Évangélisation ?
Et si la compréhension de la dépravité totale était plus déterminante dans l’évangélisation que la compréhension de la croix. Non que la doctrine fondamentale de la justification pour la foi en Jésus soit moins importante ! Mais la dégainer trop tôt, sans rencontrer un réel désespoir de la part d’un interlocuteur devant la noirceur de son cœur et du monde, est la plupart du temps inutile. Nous vivons dans un monde occidental où les gens (non-chrétiens mais malheureusement aussi chrétiens) font preuve d’une grande naïveté : soit ils ignorent les problèmes en eux et autour d’eux, soit ils mettent leur espérance dans des solutions en carton. Il faut donc d’abord qu’ils ouvrent les yeux sur l’état réel des choses avant d’être transformés par l’Évangile. Or, ceux qui veulent témoigner de leur foi en Jésus possèdent deux grands avantages. Le premier c’est leur passage du rôle d’avocat à celui de procureur : comme le christianisme est déclinant ce n’est plus à eux d’apporter la preuve que leur foi biblique est vraie mais ils peuvent maintenant interroger (sans se moquer) l’efficacité des pratiques et croyances actuelles. Le second avantage c’est que eux savent qu’il n’y a pas plus prévisible, stable et durable que le Péché et donc ils peuvent être sûrs que les croyances et modes de vie de nos contemporains n’aboutirons pas au bonheur escompté. La combinaison de ces deux avantages doit donc orienter notre manière de prêcher devant des chrétiens ou d’annoncer l’Évangile devant des incroyants. La place des actualités ou des sujets de société devrait être plus grande et nous devrions prendre beaucoup plus de temps à les analyser pour les démonter (au sens propre comme au figuré) à la lumière de l’Évangile pour pointer ce qui ne fonctionne pas et en dernier lieu démontrer la pertinence de l’Évangile. Autrement dit, nous accroitrions notre rôle prophétique (ainsi que celui des frères et sœurs) si nous passions plus de temps à dénoncer la vacuité des idoles de notre temps ainsi que les horreurs commises par les humains. Par exemple, les questions climatiques sont une excellente occasion de montrer que tout ce que dit la Bible sur le coeur humain est vrai (il est idolâtre, égoïste et ça détruit tout autour de lui). Mais l’anthropologie biblique permet aussi de doucher les espoirs de voir un progrès apparaître puisque la seule chance de voir une prise de conscience et un changement de comportement des humains, c’est précisément un changement de coeur. Vraiment, l’existence du Péché est tellement incontestable, universellement palpable que nous devrions beaucoup plus mettre l’accent dessus afin que le désespoir crée un besoin que nous pourrons combler avec l’Évangile.