Du pain, du vin, tout va bien ?

Que penser des bénédictions matérielles ? Réponse dans cet article nuancé et truffé d’exemples bibliques.

Par Nicolas Farelly

Dans la Bible, Dieu est présenté comme créateur de toutes choses. Et en tant que tel, il désire que sa création soit pleinement et richement expérimentée, savourée par les humains : une longue vie, beaucoup d’enfants, de la viande rouge, du vin en abondance, du pain et des mets sucrés à satiété… Dans l’Ancien Testament en particulier, tels sont les éléments d’une vie heureuse, que Dieu est prêt à offrir. Oui, la Bible présente plusieurs textes qui glorifient la richesse, les biens et les possessions matérielles, les considérant comme des bénédictions de la part de Dieu dont on peut jouir (Gn 24.35 ; 26.13). Ainsi, ces textes rappellent que la Bible ne promeut pas, ou en tout cas n’oblige pas, l’ascétisme comme mode de vie.

Pourtant, ces biens matériels sont toujours à expérimenter en harmonie, en interdépendance : entre la femme et l’homme, entre eux et Dieu, et entre eux et le reste de la création. Dès les tous débuts de la Genèse, nous découvrons un Dieu qui a donné la terre aux humains et aux animaux (Gn 1.29-30), confiant aux humains la bonne gérance de celle-ci (1.26-28). Plus encore, homme et femme sont appelés à consommer des biens de la terre de façon responsable, selon les conditions indiquées par Dieu (2.17). Il y a donc là une qualité « morale » attachée à la production, la réception et la consommation de ces biens, quand bien même tout est bon dans la création de Dieu.

L’idéal et le réel

Dans la Bible, comme par exemple dans le Deutéronome, Dieu promet à Israël qu’il pourra bénéficier pleinement du pays, mais demande pour cela qu’il garde les termes de l’Alliance conclue au Sinaï (e.g. Dt 4.1-2). De même, dans la littérature sapientielle, la prospérité dépend de la diligence et de l’obéissance du peuple envers Dieu, alors que la pauvreté frappe le paresseux et l’immoral (Pr 6.4-11, 20-29). Il existe donc un principe de dépendance entre justice et bénédiction qui peut être attendu par le peuple. Ainsi, en toute logique :

« il ne devrait pas y avoir de pauvres chez toi, car le Seigneur te bénira dans le pays que le Seigneur, ton Dieu, te donne comme patrimoine, afin que tu en prennes possession, pourvu seulement que tu écoutes le Seigneur, ton Dieu, en veillant à mettre en pratique tout ce commandement que j’institue pour toi aujourd’hui » (15.4-5).

La question se pose alors : la Bible enseignerait-elle que richesses et prospérité peuvent toujours être expérimentées par ceux qui exercent une vie juste et fidèle ? Et inversement, que la pauvreté est une conséquence automatique de la méchanceté et de l’injustice ?

Les choses ne sont évidemment pas si simples et certaines nuances doivent être mises en exergue. Chez les prophètes en particulier, on trouve un nombre considérable d’accusations à l’égard de riches oppressant les plus pauvres (e.g. Es. 5.8-10). D’ailleurs, les termes « pauvre » et « juste » (saddiq) vont de paire dans certains textes. Dans le Psaume 109.22, par exemple, David se dit « pauvre et déshérité », lui qui est pourtant fidèle à Dieu (voir également Ps 40.17 ; 86.1). Par contre, ceux qui s’enrichissent (souvent en profitant des pauvres/justes) sont des méchants, des injustes qui se sont éloignés de Dieu dans leurs actions. À la lecture de l’Ancien Testament (cf. également l’épître de Jacques dans le Nouveau Testament), on se rend compte que le pays est en fait habité par un peuple qui ne fait pas beaucoup mieux en matière de justice et d’utilisation des biens que ceux qui en avaient été expulsés à cause de leur péché !

Tout au long de la littérature biblique, il existe donc une tension entre « l’idéal » (la convergence parfaite entre justice et bénédictions matérielles) et « le réel » (les justes ne sont pas toujours bénis matériellement, alors que les méchants s’enrichissent souvent). L’idéal, dans cette perspective, est encore une réalité à venir, attendue, espérée. Dans les Psaumes, par exemple, les fidèles louent Dieu malgré l’expérience douloureuse du présent, dans l’espérance et la foi que Dieu établira la justice dans les temps à venir (e.g. Ps 69.30-37 ; voir aussi 2 R 25).

Attention danger !

Toujours dans le Deutéronome, se trouve au chapitre 8 une longue et riche méditation sur la richesse comme bénédiction de la part de Dieu, mais aussi comme danger. Dieu désire bénir son peuple, mais il sait combien les richesses peuvent obscurcir la mémoire que ces dons viennent de sa main (8.2). Or, oublier l’origine du don peut avoir des conséquences désastreuses pour l’homme dans sa relation à Dieu. Oublier Dieu conduit à dire : « C’est par ma force et la vigueur de ma main que j’ai acquis toutes ces richesses ! » (8.17). Plus encore, dans les versets qui suivent, un lien implicite est fait entre l’oubli et l’idolâtrie, les deux entraînant la colère de Dieu (8.18-20). L’enseignement de ce chapitre est donc, entre autres, que les humains ne doivent jamais cesser de s’émerveiller devant la grâce de Dieu, sa bénédiction généreuse et imméritée.

De plus, dans la Bible la richesse est souvent associée à la tentation de se l’approprier et de la garder égoïstement sans prendre en compte la volonté de Dieu. Elle mentionne très fréquemment l’avarice, la convoitise ou l’avidité, montrant que ces vices détruisent les personnes (en négligeant ou en exploitant les plus pauvres, par exemple) et sont des outils de l’idolâtrie (Col. 3.5). Or, Dieu désire que son peuple soit un peuple généreux et solidaire des plus pauvres, reconnaissant que ce qu’il a lui vient de Dieu et qu’il peut faire confiance à sa bonne et fidèle provision (Mt 6.1-4 ; 2 Co 9.6-12).

Non pas « si », mais « comment »

Les motivations et le cœur de l’homme, en relation aux biens/bénédictions matérielles, sont donc traités par la Bible avec grand réalisme, un réalisme toujours d’actualité. Et finalement, la grande question qu’elle pose sur cette thématique n’est pas de savoir si les bonnes choses de la création et les dons de Dieu doivent être reçus et expérimentés, mais bien comment. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, quand Dieu est absent de la vie et de l’attitude des humains, quand l’homme s’instaure propre maître de sa vie, le pire est à craindre. Inversement, en plaçant Dieu au cœur de nos vies, c’est avec reconnaissance, joie et espérance que tous peuvent jouir pleinement et généreusement des biens que Dieu donne.

 

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