Drôle de généalogie !

Comment Dieu déroule-t-il son plan de salut d’après Matthieu 1 ?

Par Matthieu Gangloff, pasteur et aumônier de prison en Vendée

Le lecteur de la Bible croise parfois des généalogies, textes peu attrayants dans lesquels l’auteur égrène des noms, comme en Matthieu 1.1-17. Pourtant, de telles listes peuvent être encourageantes si l’on sait y percevoir la fidélité du Dieu souverain qui déploie de manière inexorable son plan parfait par-delà les trajectoires personnelles.

La généalogie sélective de Matthieu est divisée en trois séries de 14 générations, d’Abraham à David, de David à la déportation à Babylone, et de la déportation jusqu’au Christ. Alors que Luc fait remonter sa généalogie de Jésus jusqu’à Adam, premier humain, Matthieu l’arrête à Abraham : il souhaite montrer à ses lecteurs (juifs principalement) que Jésus s’inscrit dans l’histoire de l’alliance entre Dieu et Israël. Avec l’arrivée du Messie, il y a une nouvelle étape, et même un accomplissement de toute cette histoire. « En positionnant Jésus au terme de la troisième série de 14 générations, Matthieu fait de sa naissance un aboutissement, à un moment qui ne doit rien au hasard mais tout à la volonté et au projet de Dieu 1».

Nouvelle Genèse

Les premiers mots de cet Évangile (« livre des origines ») rappellent les généalogies qui structurent la Genèse. Pour l’auteur, la venue de Jésus est un nouveau commencement, une nouvelle création. Jésus est le cœur même de la Bible, l’aboutissement de tout ce que Dieu a révélé aux humains. Il est « Dieu avec nous », expression que l’on retrouve au début (Matthieu 1.23) et à la fin de l’Évangile (Matthieu 28.20), comme pour encadrer toute son histoire terrestre. Jésus est bien Dieu fait homme. Dieu qui tient ses promesses. Dieu qui entre dans notre histoire. Dieu avec nous. 

Puisque Matthieu veut présenter Jésus comme le vrai « Roi des Juifs » , il n’est pas étonnant de trouver au centre de cette généalogie le roi David (1.1, 1.6, 1.17) à qui Dieu avait annoncé le règne éternel de l’un de ses fils (2 Samuel 7). Même si l’accomplissement de cette parole a pris du temps, Dieu est fidèle à sa Parole. 

Le Messie arrive après toute une histoire sinueuse. « L’accomplissement des promesses emprunte des voies non conformes aux normes religieuses de pureté des origines en vigueur à l’époque »2. On peut noter que Jésus s’inscrit dans toute une histoire de famille, avec ce qu’il y a de beau et ce qu’il y a de nettement moins reluisant. Il y a des bons rois (Yotam cf. 2 Chroniques 27.3-6, Ezéchias cf. 2 Rois 18-20) mais aussi de mauvais rois (Yoram cf. 2 Rois 8.16-24, Ahaz cf. 2 Rois 16)… Or, malgré les manquements des humains, Dieu a déroulé son plan jusqu’au Christ. Cette trajectoire non rectiligne a de quoi surprendre. « La promesse qui conduit d’Abraham à Jésus […] ne tient humainement qu’à un fil, menacé de rupture à chaque génération, ou au moins à une sur deux. En définitive, ce n’est à rien d’autre qu’à l’action souveraine et invisible de Dieu dans l’histoire qu’elle doit son aboutissement 3». Cette généalogie indique que malgré les circonstances et les défaillances humaines, Dieu gère la grande Histoire. En même temps, il gère aussi nos histoires et assume nos détours, nos fragilités, et quoi qu’il arrive, selon ses promesses, il nous conduira jusqu’au bout. Voilà une perspective glorieuse qui invite à une confiance renouvelée. 

Cinq femmes

Cette généalogie a de quoi déstabiliser le lecteur juif. En effet, on y découvre cinq femmes. À titre de comparaison, Luc, qui pourtant mentionne de nombreuses femmes dans son Évangile, n’en inclut aucune dans sa généalogie. En principe, une généalogie ne contient pas de noms féminins. Les exceptions (par exemple 1 Chroniques 2.21, 24, 34, 48s et 7.24) concernent soit des irrégularités dans la succession (Nombres 27.1-11), soit des femmes particulièrement remarquables. Mais ce n’est franchement pas le cas ici ! En effet, Matthieu mentionne Thamar (v.3, cf. Genèse 38), Rahab (v.5, cf. Josué 2), Ruth (v.5, cf. Ruth), la femme d’Urie (v.6, cf. 2 Samuel 11) et Marie (v.16). L’intégration de ces femmes (dont des adultères et des étrangères) dans la lignée du Messie interpelle franchement. Certains y discernent un tournant révolutionnaire que Jésus amorcera par son attitude envers la femme, d’autres relèvent la logique parfaite mais bien surprenante de Dieu. Les commentateurs catholiques considèrent que ces femmes sont des symboles de toute l’histoire d’Israël. Ainsi, « Thamar évoque les patriarches, Rahab évoque le thème de l’exode et de l’entrée dans le pays promis. Bath Chéba rappelle la fidélité de Dieu à ses promesses malgré la faute de David »4. À chaque époque une femme marquante. Marie inaugure une nouvelle étape, décisive. Mais le sang mêlé du Sauveur indique surtout que tous les humains sont concernés par ce Jésus. L’inclusion de ces femmes dans cette généalogie proclame que « Dieu n’est pas uniquement le Dieu des hommes ou des israélites, mais de tout être vivant sur la face de la Terre 5».

Le vécu de ces femmes est fait d’éléments inattendus, négatifs ou positifs, tous composants du plan de Dieu. Pour le dérouler, des femmes étrangères, aux vies abimées, figurent aux côtés des plus grands rois. Les histoires de ces femmes font partie des pages les moins reluisantes de l’histoire du peuple élu. Elles révèlent que Dieu assume l’humanité telle qu’elle est et veut la racheter par le Sauveur qu’il envoie6. Son plan se déroule inexorablement, même avec des gens imparfaits… Cette vérité a quelque chose de rassurant. Quoi qu’il arrive, selon ses promesses, il nous conduira jusqu’au bout, car, comme le dit l’Évangile de Matthieu, Il est « Dieu avec nous ».

Pour aller plus loin

1 C Paya, Comprendre Matthieu 1-13, Excelsis – Édifac, 2013, p.23

2 C. Focant, D Marguerat, Nouveau Testament commenté, Bayard, 2005, p.28

3 C Paya, Comprendre Matthieu 1-13, Excelsis – Édifac, 2013, p.27

4 A. Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Évangiles et Actes, Emmaüs, 2002, p.14

5 H. Bryant, Matthieu commentaire biblique, CLE, 1986, p.27

6 A. Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Évangiles et Actes, Emmaüs, 2002, p.13

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