Une brève histoire de l’apologétique

Par Yannick Imbert, professeur d’Apologétique à la Fac de Théologie Jean Calvin

L’Eglise a toujours reconnu l’appel à témoigner de sa foi dans un monde en constante évolution. Les disciples de Jésus-Christ ont répondu à cette vocation d’être témoins en répondant aux défis d’une société toujours éloignée de Dieu : elle a été une Eglise apologétique, présentant et défendant la foi chrétienne. Alors que nous entrons dans la deuxième décennie de ce jeune 21e siècle, il est encourageant de nous tourner vers les apologètes qui nous ont précédés. 

Lors des premiers siècles, l’apologétique développée par les Pères apologistes était en particulier concernée par trois choses. La première était l’accusation selon laquelle leur foi faisait d’eux de mauvais citoyens, existant dans l’ombre et dans le secret. Face à cela Tertullien ne peut que s’exclamer, remarquant un peu sarcastiquement que les chrétiens sont partout : dans les marchés, sur les places publiques… partout ! La deuxième dimension apologétique était une défense de la rationalité de la foi. Loin d’être opposée à la raison humaine, la foi chrétienne témoignait d’un Dieu qui était un Dieu de raison, qui avait créé l’homme raisonnable et qui appelait l’homme à reconnaître la rationalité de son existence. La troisième dimension apologétique était la nature différente de la vie chrétienne, en particulier par son attitude envers les malades, les plus pauvres, et les nouveaux-nés abandonnés et promis à une mort certaine. Dans cette première période, l’Eglise justifie par son apologétique la légitimité et la vérité de la foi face à un monde qui regardait avec suspicion la nouvelle foi. 

La période médiévale déploie une apologétique bien différente. L’Eglise n’est plus émergente, mais fait partie de la société elle-même. Elle en est même l’un des liens les plus forts. La société médiévale est parfois même qualifiée de « chrétienne ». Quelle forme d’apologétique l’Eglise a-t-elle bien pu alors présenter ? Nous ne pouvons comprendre cela qu’en nous débarrassant du cliché qui ferait de la société médiévale une société chrétienne au sens le plus fort du terme. Bien sûr, l’Eglise y jouait un rôle structurant, et souvent bénéfique. Cependant l’interaction entre pouvoirs spirituels et temporels était complexe. Certains groupes chrétiens, en particulier monastique, servirent de force réformatrice, appelant à constamment réformer l’Eglise. Cela aussi était une forme de présentation et de défense de la foi chrétienne, contre la tendance naturelle à laisser notre vie chrétienne perdre en fidélité. C’est aussi envers des enseignements qui s’écartaient de la foi de l’Eglise que l’apologétique fut dirigée. Pour répondre à ce nouveau défi apologétique provenant de l’intérieur même de l’Eglise, une approche systématique était nécessaire. L’enseignement organisé de la foi prit une place de plus en plus prépondérante et donna naissance aux grandes œuvres que nous connaissons, comme la Somme théologique de Thomas d’Aquin ou sa Somme contre les gentils, censée être une aide apologétique contre l’enseignement musulman. 

La transition des 18e et 19e siècles introduit l’Eglise au monde moderne. L’Eglise dut faire face, là aussi, à de nouveaux défis. Le premier fut le rôle de plus en plus déterminant donné à la raison humaine. Il ne s’agissait pas, pour l’apologétique, d’affirmer que la foi n’était pas contre la raison, mais de montrer que la raison humaine ne pouvait prétendre ni à l’absolu, ni à s’ériger en juge de la révélation divine. Cette défense de la foi contre le rationalisme a dû aussi faire face à d’autres philosophies qui essayaient elles aussi de répondre à un rationalisme de plus en plus commun. Le romantisme fut l’une d’entre elles. La réponse apologétique fut alors de ré-affirmer que, bien que la foi soit vécue personnellement, le fondement de cette dernière n’était pas individuelle et subjective. Le sentiment personnel était ancré dans l’objectivité de l’Ecriture, Parole de Dieu. 

Depuis le milieu du 20e siècle, l’Eglise tente de répondre au monde postmoderne. Les questions auxquelles nous sommes confrontés sont sensibles. L’individualisation de la foi a eu un impact négatif sur la foi chrétienne. Cela a contribué à faire de la foi chrétienne quelque chose qui relève uniquement d’un choix personnel sélectionné sur un menu religieux en constante diversification. La foi n’est qu’une option parmi d’autres. Les deux dernières décennies ont elles aussi présenté de nouveaux défis. Le rôle et la place publique des chrétiens dans une société post-chrétienne, et religieusement pluraliste, est sans doute l’un des enjeux majeurs. Le rôle de la communauté chrétienne a récemment trouvé une importance renouvelée. Bien comprise et vécue, la communauté qu’est l’Eglise doit devenir le meilleur argument apologétique. Le peuple de Dieu, celui du Ressuscité, est une communauté alternative.

Le monde postmoderne a aussi perdu la possibilité de dire ce qu’est un être humain. Il n’y a en effet plus de nature humaine qui nous soit commune à tous. L’identité humaine est elle aussi un choix personnel. Nous décidons de notre genre, de ce qui est bon pour nous, et de la nature que prendra notre corps, sans relation avec le reste du monde dans lequel nous vivons. Sans définition possible de ce qu’est l’humain, théories du genre, transhumanisme, et autres mouvements culturels, ne font que dissoudre la dignité que Dieu a donnée à l’être humain. Face à cette humanité en dérive, la communauté de Christ est une fois de plus la plus grande réponse apologétique. C’est en effet le lieu de la vraie humanité, celle de ceux qui ont été restaurés à l’image de Christ, le premier d’un nouveau peuple. 

Quelle démonstration de la foi l’Eglise proposera-t-elle ? La personne unique de Christ, et l’éthique du peuple de Dieu sont appelés à redevenir des points principaux de notre apologétique. Avancer sur ce chemin demande un appui entier et ferme sur l’Ecriture, règle de notre vie et de notre foi. 

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