Présenter l’évangile à l’élite de son temps

Par Micaël Razzano, pasteur et ancien Secrétaire Général des GBU

De passage à Athènes, Paul décide d’évangéliser sur la place publique. Le discours qu’il y prononce et que Luc nous rapporte en Actes 17.16-34, marque une étape décisive dans l’avancée de la foi chrétienne. C’est en effet le premier grand choc entre la culture judéo-chrétienne émergente et la culture gréco-romaine. Au premier siècle, Athènes est la capitale culturelle qui par sa philosophie rayonne dans tout l’empire. L’Aréopage où Paul est invité à s’exprimer est un endroit animé et prestigieux où circule l’information. C’est une occasion en or pour annoncer l’évangile aux élites intellectuelles de l’époque notamment les épicuriens et les stoïciens (18). Mais c’est aussi un défi de taille ! Comment Paul va-t-il s’y prendre pour s’adresser à un auditoire païen qui ignore tout du Dieu de la Bible, de la notion d’alliance, de l’attente du Messie ? Quels seront ses points d’ancrage pour transmettre l’évangile ?

A la rencontre

Malgré l’exaspération qui s’empare de lui à la vue de cette ville pleine d’idoles (17), Paul ne cherche pas à diaboliser la culture athénienne. Il va même y prendre appui pour démontrer la foi chrétienne. Se référant à un autel portant l’inscription « à un dieu inconnu »1, Paul déclare : «ce que vous vénérez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce» (23). Mais tout en puisant dans le patrimoine culturel de ses interlocuteurs, il se garde bien d’identifier purement et simplement l’évangile qu’il proclame avec le dieu inconnu de cet autel2. Il évite ainsi le syncrétisme si répandu dans le monde gréco-romain.

Puis Paul jette des ponts avec la philosophie grecque. Il se rapproche d’abord des épicuriens pour qui Dieu n’a pas besoin des hommes (25), puis des stoïciens en présentant Dieu comme celui qui détermine l’histoire (26). En citant des penseurs grecs (28), il établit d’autres points d’ancrage avec la culture de son temps3. Mais ces références ont surtout pour objectif d’attirer l’attention sur les contradictions internes à la philosophie païenne, comme l’inconséquence des pratiques idolâtres (v. 28-29).

Chemin de crête

Tout en prenant appui sur le contexte philosophico-religieux de son temps, Paul veille donc à ne pas accommoder le message de l’évangile à la philosophie ambiante. On peut faire ici trois remarques : 

  1. D’abord, sa prédication est enracinée dans l’Ancien Testament. Paul parle du Dieu créateur et souverain (24) qui se suffit à lui-même (25), qui détermine le temps, l’espace et donc le sens de l’histoire (26), qui pourvoit à tous nos besoins et qui a créé l’homme à son image comme le suggère le thème de la filiation (28-29). On pourrait s’étonner que Paul n’annonce pas d’emblée le Christ mort et ressuscité comme nous l’aurions peut-être fait nous-mêmes. Mais pour que le message de la Croix soit pertinent, il fallait d’abord que les philosophes d’Athènes perçoivent Dieu comme Créateur et donc personnel. Face au panthéisme des stoïciens où Dieu et la nature ne font qu’un, il était indispensable de poser cette notion fondamentale d’un Dieu à la fois distinct de sa création et en relation avec elle.
  2. Ensuite, Paul oppose un triple refus aux croyances païennes : Dieu n’habite pas dans les temples faits de mains d’hommes (24), il n’est pas servi par des mains humaines (25), il n’est pas semblable au métal précieux qui cherche à le représenter (29)4. Tout en prenant appui sur la culture païenne, Paul reste donc très critique à son égard. L’évangile qu’il annonce à Athènes n’est pas édulcoré. C’est le même évangile qu’il proclame partout sans concession aucune. 
  3. Enfin, l’apôtre Paul questionne la démarche des athéniens pour atteindre Dieu qu’ils cherchent à tâtons (27). Tout en reconnaissant leur soif de vérité, il dénonce la manière dont ils cherchent à s’approprier Dieu en se faisant une idole (29). C’est ce qui les conduit à une ignorance coupable.

Appel audacieux

Au fur et mesure de son exposé, Paul se montre de plus en plus incisif. Non seulement Dieu s’adresse aux hommes, déclare-t-il à ceux qui ont du mal à appréhender un Dieu personnel (30) mais il les appelle à la repentance ! Quelle audace quand on sait qu’on venait chercher à l’Aréopage l’accréditation des athéniens pour sa divinité ! Paul n’hésite pas non plus à aborder le jugement dernier quitte à remettre en question la perspective cosmique et circulaire du monde qu’avaient les stoïciens (31). Il ose même avancer la preuve de la résurrection, inacceptable pour les Grecs mais essentielle pour la foi ! Pour le conseil de l’Aréopage qui jugeait les criminels et qui avait pour devise cette sentence attribuée à Eschyle : « lorsqu’un homme est mort et que la terre a bu son sang, il n’est pas de résurrection », c’était le point de rupture (32). La plupart quittent Paul en se moquant de lui mais certains croient dont Denys l’aréopagiste qui selon Eusèbe5 serait devenu évêque d’Athènes. Quand la graine de l’évangile tombe dans la bonne terre, elle peut en donner trente, soixante, cent (Mc 4.20)

Aujourd’hui avec la sécularisation de notre société, un processus de paganisation s’est développé entraînant l’émergence d’une spiritualité panthéiste et syncrétiste qui nous rapproche du public de Paul à Athènes. Du coup, la stratégie de l’apôtre s’avère d’autant plus pertinente pour partager l’évangile avec les élites de notre temps : 

  • aller sur le terrain culturel et philosophique de ses interlocuteurs pour y exposer l’extraordinaire de l’évangile à partir d’arguments fondés sur la raison tout en évitant le rationalisme.
  • chercher les convergences tout en affirmant ce qui est parfois le plus controversé dans notre espérance.

1 Six siècles auparavant alors que la peste ravageait Athènes, Epiménide, un poète d’origine crétoise, estima qu’un dieu inconnu était mécontent. On érigea donc un autel pour offrir à ce dieu inconnu un troupeau de moutons noirs puis un autre de moutons blancs: à la divinité de choisir ses victimes ! (Don Richardson, l’Eternité dans leur cœur, JEM, 1981, pp. 16ss). 

2 Pour cela il utilise en grec le neutre (23).

3 Le verset 28 cite Aratos (poète stoïcien du 3ème siècle avant JC) et ferait aussi référence à Epiménide. Le Dieu immatériel (29) s’accorde avec la philosophie grecque.

4 Alain Nisus, « Discours de Paul aux païens et situation contemporaine », Eglise ouvre-toi. (Dossier S&M, n°8 – 1996)

5 Père de l’Eglise au tournant du 4ème siècle

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