Jérémie 32 : Espoir inattendu

Introduction

La ville de Jérusalem est assiégée par le babylonien Nabuchodonosor pour la deuxième fois. La situation est critique, mais la parole de Dieu n’a toujours pas dit son dernier mot. C’est du fond de la cour de garde, prophète enchainé, qu’elle se fait entendre. Cette parole est pleine d’espoir. En décalage si flagrant avec la situation qu’elle provoquera la prière d’incompréhension d’un Jérémie désemparé.

S’il en est un au courant de l’avenir funeste de la capitale judéenne, c’est bien Jérémie. Seul contre tous, dans la souffrance et les larmes, il n’a eu de cesse d’annoncer la ruine du pays des mains du roi Nabuchodonosor. Mais, tandis que le dénouement de ses 40 ans de prophéties approche inéluctablement, c’est un message de salut qui lui est adressé.

Un prophète et un roi face à la parole de Dieu (1-15)

Ce passage est rythmé par les déclarations de parole du Seigneur : « Parole qui parvint à Jérémie de la part du Seigneur… » (1), « ainsi parle le Seigneur… » (3), « selon la parole du Seigneur… » (8), etc.
Cela fait surgir du texte un contraste immédiat avec la situation initiale. Bien que sa ville soit assiégée, son prophète mis en garde, l’Éternel est toujours présent. Bien plus, il se révèle encore.

1-5 : La parole donnée au roi

Notre texte commence par une digression. Il nous est d’abord annoncé qu’ici sont retranscrites les paroles parvenues à Jérémie, et c’est cependant des paroles adressées au roi Sédécias que nous commençons par lire. Cette parenthèse est d’ailleurs encadrée par le verset 1 et le verset 6 :

● « Parole qui parvint à Jérémie de la part du Seigneur… »
■ (Sédécias rencontre Jérémie en prison au sujet des paroles de Dieu à son encontre)
● « Jérémie dit : la parole du Seigneur me parvint… »

C’est donc Sédécias lui-même qui se mue en vecteur de la parole de Dieu, lui qui pourtant, avait voulu la faire taire par l’emprisonnement du prophète. L’auteur biblique met dans la bouche du roi les paroles que Jérémie lui avait jadis transmises. C’est toute l’ironie de la scène : Sédécias devient l’oracle de l’Éternel de seconde main. Et par le même coup, l’on se rappelle que Dieu avait déjà interpellé le roi à maintes reprises par l’intermédiaire de Jérémie :

Après cela – déclaration du SEIGNEUR – je livrerai Sédécias, roi de Juda, les gens de sa cour, le peuple et ceux qui dans cette ville auront survécu à la peste, à l’épée et à la famine ; je les livrerai à Nabuchodonosor, roi de Babylone, à leurs ennemis, à ceux qui en veulent à leur vie ; il les passera au fil de l’épée, il n’aura aucune pitié pour eux, il n’épargnera personne et il n’aura pas de compassion. Jr 21.7

Si ces paroles l’avaient atteint jusqu’à ce qu’il soit capable de les retenir, le ton reste cependant interrogatif avec le pourquoi du verset 3 : « Pourquoi annonces-tu en prophète : Ainsi parle le Seigneur… », signe de la surdité du personnage. Car à ce “pourquoi”, il y avait déjà réponse :

« C’est exactement ce que j’ai dit à Sédécias, roi de Juda : Placez votre cou sous le joug du roi de Babylone, soumettez-vous à lui et à son peuple, et vous vivrez ! Pourquoi devriez-vous mourir, toi et ton peuple, par l’épée, par la famine et par la peste, comme le Seigneur l’a dit à la nation qui ne se soumettra pas au roi de Babylone ? » Jr 27.12-13

L’ironie finale se trouve ici, le roi entendant les paroles jusqu’à les réciter, ne les écoute pas.

6-15 : La parole donnée au prophète

Après la parenthèse constituée par l’interférence d’un roi sourd mais bavard, le texte revient à son propos d’ouverture. La parole de l’Éternel parvint à Jérémie, pour l’informer de l’arrivée prochaine de son cousin.
À sa venue se joue un théâtre de l’absurde : la visite d’un prisonnier, dans Jérusalem une ville assiégée, pour lui proposer la vente d’un terrain se trouvant sous l’occupation ennemie. Tout simplement une arnaque en bonne et due forme.

« Selon les anciennes lois foncières d’Israël, la terre agricole appartenait aux familles étendues qui en vivaient, et elle était transmise de génération en génération par héritage. Elle n’avait pas à être achetée et revendue par commodité commerciale, pour le profit ou la spéculation (Lv 25.23). » 1

D’autant plus que le champ en question avait certainement souffert de l’armée Babylonienne, se trouvant directement sur leur chemin pour arriver à Jérusalem.
Les témoins ont sans doute été amusés par cette transaction alourdie par tout un artifice administratif. Car en somme, il ne s’agissait que d’un bien sans valeur au vu de la situation actuelle.

Mais pourquoi ? Cette fois-ci, contrairement à celle de Sédécias, l’interrogation semble légitime. Que se passe-t-il dans la tête du Seigneur pour demander à son prophète d’accepter l’arnaque ? Nous le savons tout autant que Jérémie, c’est la dévastation qui attend tout Juda, dévastation qui n’attend désormais plus que la chute prochaine de Jérusalem. Alors pourquoi acheter un champ dans Juda maintenant ?

La réponse se fera tarder car la prochaine parole qui parvint à Jérémie ne sera ni une explication ni une justification. Elle sera une instruction de conservation pour l’acte de vente. Le suspens s’éternise. Ce n’est qu’en toute fin de passage que nous avons enfin une réponse : « Car ainsi parle le Seigneur (YHWH) des Armées, le Dieu d’Israël : On achètera encore des maisons, des champs et des vignes dans ce pays. » (15).

Une prière, une réponse de foi (16-26)

Jérémie le sait très bien, le peuple ne s’est pas repenti, le Dieu d’Israël juste et saint ne peut laisser Juda impuni. Voilà 40 ans qu’il proclame en prophète la destruction du peuple et les paroles de l’Éternel sont sûres, elles s’accomplissent. Voici justement le moment de leur accomplissement arrivé et Dieu lui demande d’annoncer l’espoir. Du désarroi du prophète naît cette prière.

17-22 : Un Dieu grand et juste

Le premier verset de la prière est là pour impulser tout le reste. C’est par la seule force de la main du Seigneur des armées que la création entière doit son existence. Il n’y a pas lieu de s’étonner des agissements de Dieu : il est libre et souverain. Et pourtant, vue de notre échelle et de celle du prophète surtout, il y a de quoi s’étonner.

Dans les versets qui suivent, la thématique de l’omnipotence divine est reprise de l’introduction, mais cette fois-ci encadrée par des déclarations sur la justice de Dieu :

thèmeversetcitation
juste18.a« Tu agis avec fidélité jusqu’à la millième génération ; pour la faute des pères, tu paies de retour leurs fils après eux, directement. »
puissant18.b« Tu es le Dieu grand et vaillant, dont le nom est le Seigneur (YHWH) des Armées. »
puissant19.a« Tes projets sont grands et tes hauts faits magnifiques ; »
juste19.b« tu as les yeux ouverts sur toutes les voies des êtres humains, pour donner à chacun selon ses voies, selon le fruit de ses agissements. »

En effet, Dieu est omnipotent, mais il est aussi juste et saint. C’est pourquoi, lorsque Dieu, dans son omnipotence souveraine, laisse courir une injustice, le prophète s’interroge, et nous avec lui.

Dans les deux prochains versets, nous lisons Jérémie qui se rappelle que Dieu sauve et se révèle :

Dieu sauveet se révèle
« Tu as fait paraître des signes et des prodiges en Egypte, jusqu’à ce jour, en Israël et dans l’humanité… »« et tu t’es fait un nom. »
« Tu as fait sortir d’Egypte Israël, ton peuple, avec des signes et des prodiges… »« d’une main forte, d’un bras étendu, en inspirant une grande crainte. »

C’était par l’action seule de Dieu que le peuple jouissait de sa liberté, racheté de l’esclavage avec force et conflit. Ce faisant, Dieu s’était révélé rédempteur puissant.
Pas simplement rédempteur, car Dieu fait grâce bien au-delà de la délivrance. C’est en effet aussi de la souveraineté de l’Éternel que le peuple doit les terres sur lesquelles il habite (21). Malheureusement, ce souvenir du prophète, Juda l’a oublié :

« Ils sont venus et ils en ont pris possession. Mais ils ne t’ont pas écouté, ils n’ont pas suivi ta loi, ils n’ont pas fait tout ce que tu leur avais ordonné de faire. Et c’est alors que tu as fait venir sur eux tout ce malheur ! » Jr 32.23

Et quel malheur, Dieu le sait tout comme Jérémie, nous le savons aussi, lecteurs assidus de Jérémie. C’est le verset 24 qui s’augure à l’horizon de Jérusalem.
Alors la question nous brûle les lèvres, le prophète ne la formulera que de façon implicite, qu’à la toute fin de sa prière (25) : « Néanmoins, Seigneur Dieu, tu m’as dit : Achète un champ pour de l’argent, prends des témoins… Et la ville est livrée aux Chaldéens ! »

Ce pourquoi du prophète entre en contraste saisissant avec le pourquoi du roi. L’un cherche à comprendre avec humilité un Dieu qui ne cesse de surprendre, l’autre, béat, questionne pour s’offusquer. Nous devrions, nous aussi, comprendre que Dieu est surprenant. Parfois cela nous déboussole, nous pensions avoir compris, pourtant l’amour du Christ surpasse toute connaissance. Apprenons donc à connaître toujours mieux notre sauveur, à le chercher dans l’humilité et la crainte, vrai principe de la sagesse. Apprenons de la prière de Jérémie, une attitude de cœur qui ouvre sur une relation avec notre créateur, plutôt que de l’attitude du roi qui la referme.

Dieu répond (26-44)

Le passage suivant est encore une fois rythmé par les déclarations du Seigneur. Deux grandes parties sont identifiables et constituées du développement qui suit chacun des « à cause de cela… » verset 1 et 36. Une dernière partie (42-44) semble récapituler ce qui vient d’être dit en explication directe de l’acte prophétique d’achat de terrain.

Jérémie avait fait partir son raisonnement de la libération d’Égypte pour arriver à constater l’état d’idolâtrie dans lequel se trouve Juda, Dieu, lui, commence dans le sens contraire. C’est avec l’idolâtrie de son peuple qu’il inaugure sa réponse, pour ensuite aboutir à une nouvelle libération, parallèle à celle des mains de l’Egypte.

26-35 : Une punition bien méritée

L’Éternel s’accorde avec le prophète, en vertu de sa justice, considérant le mal commis par son peuple, la seule issue est la destruction. Les versets 26 à 29 expriment, de façon condensée, ce qui sera reproché plus tard, par une nouvelle « déclaration du Seigneur » versets 30 à 35. Idolâtrie et non repentance, le péché englobe toutes classes sociales et toutes générations. Il a atteint le stade de non-retour.

36-41 : Une suite logique qui ne suit pas

Si la réponse avait été jusqu’ici de jugement, c’était en raison de la conséquence logique des agissements de Juda, le « à cause de cela ». Mais maintenant, cette nouvelle partie, introduite également par un « à cause de cela », se fait suivre par un message d’espoir. Le passage est d’ailleurs encapsulé par une promesse de retour :

● « Je les rassemblerai de tous les pays… »
■ (Dieu annonce une nouvelle alliance)

● « Je les planterai solidement dans ce pays… »

Le retour d’Exil, comme l’Exode, est signe d’alliance avec Dieu et il structure ce passage. Contre toute logique, contre ce que l’on pourrait légitimement s’attendre, Dieu fait grâce à un peuple non repentant. Il n’y a aucun lien de causalité entre le comportement du peuple et les promesses de ces quelques versets. Le lien de causalité est à trouver dans la seule volonté de l’Éternel. Tout comme pour le sauvetage de l’Égypte, l’action de Dieu précède l’obéissance de son peuple. Le sauvetage de l’Exil et surtout des cœurs endurcis, ne sera opéré qu’en la seule vertu du nom de Dieu, lent à la colère et compatissant.

Les versets 39 et 40 n’y vont pas avec le dos de la cuillère, introduits en des termes qui font écho à l’alliance dans le désert (38 ; cf. Lv 26.12), ils annoncent un renouveau total qui commence dans les cœurs des membres du peuple de Dieu. Nous vivons aujourd’hui de cette miséricorde, mesurons la grâce qui nous est faite : Jésus accomplissant par son sang et par son corps la signature de cette nouvelle alliance dont nous pouvons jouir avec Dieu.

42-44 : Explications

L’achat du terrain par Jérémie était en quelque sorte un acte prémonitoire. C’est ainsi que Dieu fera revivre ce territoire, un jour l’on conclura de nouveaux actes de ventes comme Jérémie et Hanaméel viennent de le faire.
C’est aussi sûr que la destruction et la déportation sont certaines. Parce que c’est Dieu qui en sera l’acteur principal.

Conclusion

Dans ce chapitre se joue la tension qui existe au cœur de la révélation de Dieu, celle qui confronte son grand amour et sa justice face au mal humain. Dieu veut faire grâce, car il est miséricordieux, mais il ne peut en même temps pas laisser l’injustice impunie, car il est saint.
Cette tension a eu la capacité de mettre Jérémie dans un état circonspect, et on le comprend, parce que ce n’est que bien plus tard, avec Jésus-Christ, que nous serons capables d’appréhender cet apparent paradoxe. La croix met en lumière l’action combinée de l’amour de Dieu avec sa sainteté.

« À cause de sa miséricorde, Dieu voulait pardonner aux pécheurs ; mais il fallait que sa miséricorde fût authentique ; aussi voulait-il leur pardonner en étant juste, c’est-à-dire en n’excusant pas leurs péchés; c’est pourquoi il a décidé d’endosser lui-même dans la personne de son Fils tout le poids de la juste colère que les pécheurs méritaient. »2

Gloire à Jésus, l’agneau de Dieu, il est digne de reconnaissance et de louange. Nous lui appartenons, car il est celui qui nous a racheté.

  1. Cristopher Wright, le message de Jérémie, p.406 ↩︎
  2. C.E.B. Cranfield, The Epistle to the Romans, vol. 1, p. 217, cité à partir de John Stott, La croix de Jésus-Christ, p. 168. ↩︎

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