David en fuite II : Sauver sa peau

I Samuel 21.1 David s’en alla, et Jonathan rentra dans la ville.

2 David se rendit à Nob, chez Ahimélek, le prêtre, qui vint en tremblant à sa rencontre et lui dit : Pourquoi es-tu seul ? Pourquoi n’y a-t-il personne avec toi ? 3 David répondit à Ahimélek, le prêtre : Le roi m’a donné un ordre ; il m’a dit : « Que personne ne sache rien de l’affaire pour laquelle je t’envoie et de l’ordre que je t’ai donné ! » J’ai donné rendez-vous à mes jeunes gens à tel et tel endroit. 4 Maintenant qu’as-tu sous la main ? Donne-moi cinq pains ou ce que tu pourras. 5 Le prêtre répondit à David : Je n’ai pas de pain profane sous la main, mais il y a du pain sacré, à condition du moins que tes jeunes gens se soient gardés des femmes ! 6 David répondit au prêtre : La femme nous est interdite, comme d’habitude quand je pars en campagne. Si les armes des jeunes gens sont consacrées pour une expédition profane, à plus forte raison y aura-t-il aujourd’hui consécration en ce qui concerne les armes. 7 Alors le prêtre lui donna du pain sacré, car il n’y avait pas là d’autre pain que le pain offert, celui qu’on retire de devant le SEIGNEUR pour le remplacer par du pain chaud le jour où on le reprend. 8 Or, ce même jour, un homme de la cour de Saül était retenu là, devant le SEIGNEUR ; c’était un Edomite nommé Doëg, le chef des bergers de Saül. 9 David dit à Ahimélek : N’as-tu pas sous la main une lance ou une épée ? Je n’ai pris avec moi ni mon épée ni mes armes, parce que l’affaire du roi était pressante. 10 Le prêtre répondit : Voici l’épée du Philistin Goliath, que tu as tué dans la vallée du Térébinthe ; elle est enveloppée dans un manteau derrière l’éphod ; si tu veux la prendre, prends-la, car il n’y en a pas d’autre ici. David dit : Il n’y en a pas de pareille, donne-la-moi.

Qu’il est loin le David à qui tout réussit ! On voit dans ces deux épisodes un homme esseulé, affamé et qui se sent plus en sécurité chez ses ennemis que dans son propre pays ! Mais ce qui frappe le plus c’est que lui le courageux qui dit ce qu’il pense, lui l’homme de foi qui prend tous les risques parce que l’Éternel est avec lui doit à chaque fois recourir au mensonge pour s’en sortir. Alors, David a-t-il péché en enfreignant le 9ème commandement ?

Mensonge au Tabernacle (1-10)

Que faire quand on est seul, en fuite, sans arme ni vivres ? David sait que c’est jour de Sabbat, jour où les pains de proposition sont remplacés dans le lieu saint, il se rend donc à Nob pour faire sa demande à Ahimélek… qui comprend tout de suite qu’il y a un truc qui cloche car David est seul (et il est probablement au courant qu’il y a de l’eau dans le gaz avec Saül). C’est à ce moment là que David ment en inventant sa mission secrète et urgente et ça fonctionne puisqu’il obtient et à manger. Mais David repère un collaborateur de Saül qui pourrait le griller (ce qu’il ne manquera pas de faire au chapitre suivant) et comme il sait aussi que l’équipement de Goliath est conservé dans le Tabernacle il demande l’arme au prêtre, surfant sur ce même mensonge. David aurait-il dû faire autrement ? Fuir seul en s’attendant à ce que Dieu prenne miraculeusement soin de lui ? Être honnête avec le Grand-Prêtre ? Fait troublant, Jésus prend cet épisode en exemple dans une de ses controverses avec les pharisiens : 

Matthieu 12.1 À cette époque, un jour de sabbat, Jésus traversait des champs de blé. Comme ses disciples avaient faim, ils se mirent à cueillir des épis pour en manger les grains.

2 Quand les pharisiens virent cela, ils dirent à Jésus :

– Regarde tes disciples : ils font ce qui est interdit le jour du sabbat !

3 Il leur répondit :

– N’avez-vous donc pas lu ce qu’a fait David lorsque lui et ses compagnons avaient faim ? 4 Il est entré dans le sanctuaire de Dieu et il a mangé avec eux les pains exposés devant Dieu. Or, ni lui ni ses hommes n’avaient le droit d’en manger, ils étaient réservés uniquement aux prêtres. 5 Ou bien, n’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres qui travaillent dans le Temple violent la loi sur le sabbat, sans pour cela se rendre coupables d’aucune faute ?

6 Or, je vous le dis : il y a ici plus que le Temple. 7 Ah ! si vous aviez compris le sens de cette parole : Je désire que vous fassiez preuve d’amour envers les autres plutôt que vous m’offriez des sacrifices, vous n’auriez pas condamné ces innocents. 8 Car le Fils de l’homme est maître du sabbat.

Étonnamment, Jésus ne met pas en avant le mensonge de David mais le fait qu’il ait mangé les pains de proposition sans en avoir le droit ! Cela peut se comprendre car le sujet de la conversation c’est le Sabbat mais il est à noter que son enseignement est axé sur l’esprit de la loi («  Je désire que vous fassiez preuve d’amour envers les autres plutôt que vous m’offriez des sacrifices » de Pr 21.3) plutôt que sur son application bête et méchante. Dans le même état d’esprit, on peut remarquer que le commandement «  Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. » (Ex 20.16) ne concerne pas le mensonge en général mais plutôt les faux témoignages rendus dans les tribunaux pour faire condamner quelqu’un injustement. Devant le Grand-Prêtre, David ment pour sauver sa peau, pas pour nuire à quelqu’un… même si, au final, cela va coûter la vie non seulement d’Ahimélek mais de tout le village de prêtres avec leur famille (22.9-19) ! Sauf qu’ici ce n’est pas David qui est en cause mais la folie meurtrière de Saül qui n’hésitera pas à massacrer les serviteurs du culte de l’Éternel. 

David chez les philistins ! (11-16)

11 Ce jour-là, David s’enfuit pour échapper à Saül. Il arriva chez Akish, roi de Gath. 12 Les gens de la cour d’Akish lui dirent : N’est-ce pas là David, le roi du pays ? N’est-ce pas celui pour qui l’on chantait en dansant :

Saül a abattu ses milliers, 

et David ses dizaines de milliers !

13 David prit au sérieux ces paroles ; il avait très peur d’Akish, roi de Gath. 14 Il simula la folie sous leurs yeux et fit des extravagances parmi eux ; il faisait des marques sur les battants des portes et laissait couler sa salive sur sa barbe. 15 Akish dit aux gens de sa cour : Vous voyez bien que cet homme délire ; pourquoi me l’amenez-vous ? 16 Est-ce que je manque de fous pour que vous m’ameniez celui-ci délirer devant moi ? Un tel homme va-t-il entrer dans ma maison ?

Où aller quand on doit fuir son pays ? Dans le pays d’à côté pour pouvoir revenir assez rapidement en cas de changement de situation, un pays si possible ennemi pour être en sécurité. C’est une bonne stratégie, sauf quand on est un héros surtout connu pour régulièrement défoncer son pays hôte ! David est tellement connu que, même incognito, on l’a reconnu. À cause de l’épée de Goliath ? On espère qu’il l’avait planqué avant ! Toujours est-il qu’on découvre que David sait jouer les comédiens quand il est acculé. Sa performance de folie simulée trompe Akish qui refuse de croire ses conseillers. Ouf ! David s’en sort une fois de plus grâce à une nouvelle simulation. 

Là encore on peut se poser des questions au sujet de la foi de David : aurait-il dû faire confiance à Dieu et assumer la situation au lieu de mentir ? Dans le Psaume 34 qui fait explicitement référence à cet épisode, David a une interprétation qui pourrait nous surprendre : 

Psaume 34.1 Un psaume de David lorsqu’il simula la folie en présence d’Abimélek qui le chassa, de sorte que David put s’en aller.

2 Oui, en tout temps, | je remercierai l’Éternel 

et à jamais, | mes lèvres le loueront.

3 Mon sujet de fierté, | c’est l’Éternel ! 

Que les humbles l’entendent | et qu’ils se réjouissent !

4 Venez proclamer avec moi | que l’Éternel est grand ! 

Exaltons-le ensemble | pour ce qu’il est !

5 Moi, je me suis tourné | vers l’Éternel | et il m’a répondu. 

Oui, il m’a délivré | de toutes mes frayeurs.

6 Qui regarde vers lui | est rayonnant de joie, 

et jamais son visage | ne rougira de honte.

7 Un malheureux a appelé, | et l’Éternel a entendu, 

car il l’a délivré | de toutes ses détresses.

8 L’ange de l’Éternel | monte la garde | autour de ceux qui le révèrent ; 

c’est lui qui les libère.

9 Goûtez et constatez | que l’Éternel est bon ! 

Oui, heureux l’homme | qui trouve son refuge en lui.

10 Vous qui appartenez | à l’Éternel, | révérez-le ! 

Car rien ne manque | à ceux qui le révèrent.

11 Le lion peut connaître | la disette et la faim, 

mais ceux qui se tournent vers l’Éternel | ne manquent d’aucun bien.

12 Venez, mes fils, écoutez-moi, 

et je vous apprendrai | comment vivre en révérant l’Éternel.

13 Qui désire une longue vie ? 

Qui voudrait être heureux ?

14 Qu’il veille sur sa langue | pour ne faire aucun mal, 

qu’aucun propos menteur | ne passe sur ses lèvres.

15 Détourne-toi du mal, | et fais ce qui est bien, 

cherche la paix avec ténacité.

16 Les yeux de l’Éternel | se tournent vers les justes, 

son oreille est tendue | pour écouter leurs cris.

17 Mais l’Éternel s’oppose | à ceux qui font le mal, 

pour ôter de la terre | jusqu’à leur souvenir.

18 Lorsque les hommes justes | lancent leurs cris vers lui, | l’Éternel les entend ; 

aussi, il les arrache | à toutes leurs détresses.

19 Car l’Éternel est proche | de ceux qui ont le coeur brisé. 

Il sauve ceux | qui ont un esprit abattu.

20 Le juste doit passer | par beaucoup de souffrances 

mais l’Éternel | l’en délivre toujours.

21 Il veille sur ses os : 

aucun d’eux n’est brisé.

22 Le malheur tuera le méchant, 

les ennemis du juste | auront leur châtiment,

23 mais l’Éternel | sauve la vie | de tous ses serviteurs, 

et ceux dont il est le refuge | ne seront jamais condamnés.

Alors qu’on aurait pu croire qu’il s’en était sorti par ses propres forces, le futur roi estime qu’il a été délivré par l’Éternel (5-9) après lui avoir demandé de l’aide (16). Plus fort : alors que c’est la seconde fois que David maquille la vérité, il ose affirmer au v.14 qu’il ne faut pas mentir pour être bénis par Dieu ! Preuve supplémentaire qu’il a très probablement une interprétation du 9ème commandement telle que décrite plus haut et qu’on repère aisément dans le v.14 du Psaume (qui, rappelons-le, fait rimer les sens des deux phrases de chaque verset) : « mauvais mensonge » = se servir de sa langue pour faire du mal. 

Mentir ou ne pas mentir ?

Avant de répondre, rappelons que dans ces deux épisodes David risque sa vie. Comme dans le cas des résistants ou des juifs sous l’occupation nazie, la période est tellement manichéenne que (presque) tous les coups sont permis pour survivre et l’emporter sur le Mal. Jésus lui-même semble avoir menti dans la même situation :

Jean 7.1 Après cela, Jésus parcourait la Galilée ; en effet, il ne voulait pas parcourir la Judée, parce que les Juifs cherchaient à le tuer. 2 Or la fête juive des Tentes était proche. 3 Ses frères lui dirent : Pars d’ici et va-t’en en Judée, pour que tes disciples aussi voient les oeuvres que tu fais. 4 Personne n’agit en secret, s’il cherche à se mettre en évidence ; si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde. 5 En effet, même ses frères ne mettaient pas leur foi en lui. 6 Jésus leur dit : Mon temps n’est pas encore venu ; votre temps à vous est toujours là. 7 Le monde ne peut pas vous détester ; moi, il me déteste, parce que je lui rends le témoignage que ses oeuvres sont mauvaises. 8 Montez, vous, à la fête. Moi, je ne monte pas à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli. 9 Après avoir dit cela, lui, il demeura en Galilée. 10 Mais quand ses frères furent montés à la fête, alors il y monta lui aussi, non pas manifestement, mais comme en secret.

Finalement Jésus est monté pour la fête, mais pas de la manière dont ses frères l’auraient voulu. La question est donc de ne pas céder aux injonctions abusives mais de garder la main sur son agenda ce qui, dans son cas, signifie ne pas se faire tuer trop tôt ! 

Moralité, il y a tout un panel de possibilités entre la duplicité qui nuit activement à son prochain et le mensonge qui évite que ce soit le prochain qui nous nuise (mortellement) ! S’il faut probablement se détendre face à une interprétation « bête et méchante » du 9ème commandement, il faut aussi rappeler que dans dans le cadre de relations humaines normales l’honnêteté est une base indispensable pour se sentir en sécurité : « C’est pourquoi, débarrassés du mensonge, que chacun de vous dise la vérité à son prochain. Ne sommes-nous pas membres les uns des autres ? » (Eph 4.25)

Tout maquillage de vérité peut être interprété comme un signe de méfiance (posture défensive) ou de début d’abus (posture offensive). Le mensonge est donc le symptôme d’un état relationnel authentiquement dégradé.

Applications

→ L’honnêteté et l’authenticité sont des qualités indéniables pour avoir des relations profondes et durables. Faut-il pour autant être transparent, sans aucun secret pour ses amis et proches ? Pourquoi ? Comment et avec qui peut-on être vulnérable sans se mettre en danger ?

→ Les situations d’abus, d’emprise ou plus simplement de déception que nous avons vécues dans le passé ont un impact certain sur nos relations d’aujourd’hui. Comment Dieu peut-il nous guérir des relations toxiques du passé pour appréhender sereinement celles d’aujourd’hui ?

→ À partir de quel moment notre volonté de maîtriser les événements est-elle un manque de foi en Dieu ? 

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