L’annonce de l’Évangile est l’une des missions principales de l’église. Hannes Wiher nous propose un retour sur les origines bibliques de la mission pour en comprendre le sens.
Par Hannes Wiher, professeur associé de missiologie à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et à la Faculté Jean Calvin d’Aix en Provence.
Jusqu’au milieu du 20e siècle, la question « qu’est-ce que la mission ? » ne se posait guère. Tout le monde le savait. C’était partir en Afrique ou ailleurs, « au loin », pour annoncer l’Évangile à ceux qui ne l’avaient pas encore entendu. On distinguait l’évangélisation « au près » de la mission « au loin », une définition géographique de la mission. Aujourd’hui, il y a des chrétiens sur tous les continents mais moins en Europe qu’ailleurs. L’Europe en général et la France en particulier sont devenues une « terre de mission ». Il semble donc plus judicieux de commencer par évangéliser l’Europe, avant d’aller au loin. Ce constat semble justifié par l’expérience missionnaire et des passages bibliques comme Ac 1.8 : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». Au cours du 19e siècle on s’est rendu compte que la mission consiste à traverser également des frontières linguistiques, psychologiques, sociales, culturelles et religieuses. Avant tout, la mission consiste à traverser la frontière entre la foi et son absence.
Également au 19e siècle et jusqu’au milieu du 20e siècle, l’Église catholique, le mouvement missionnaire protestant, et à sa suite le mouvement œcuménique, ont prôné une définition ecclésiocentrique de la mission : la mission est une dimension et une activité de l’Église. Il est vrai que l’Église est impensable sans la dimension missionnaire. L’encyclique Ad Gentes (1965), et à sa suite le document La Mission et l’évangélisation (1982) du Mouvement œcuménique déclarent que « l’Église est missionnaire par sa nature même ». Toutefois, quand on regarde l’histoire de l’Église on doit constater que cette dimension missionnaire était quasi absente de l’Église pendant des siècles. L’Église est plutôt « missionnaire par vocation », car Jésus a dit à ses disciples : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20.21). De plus, on observe dans la Bible que la mission du Nouveau Testament a vu le jour au même moment que l’Église, c’est-à-dire après la Pentecôte. C’est le Saint-Esprit qui fait naître la mission et l’Église, c’est lui qui fait que les disciples de Jésus se rassemblent et se mettent en mouvement.
Après la Deuxième Guerre mondiale, dans le contexte des indépendances des jeunes États et Églises, de la mission « de partout vers partout », les définitions géographique et ecclésiocentrique de la mission n’avaient plus de raison d’être. Il a fallu chercher un nouveau fondement pour la mission. On l’a trouvé dans la personne de Dieu : une définition théologique. Dieu le Père envoie le Fils (Jn 3.16), et ensemble avec le Fils il envoie le Saint-Esprit (Jn 14-16). Il y a donc eu une reprise réfléchie de la notion catholique de « mission de Dieu » (missio Dei) développée par la théologie scolastique au Moyen Âge.
Les évangéliques ont longtemps été réticents à accepter cette nouvelle définition car elle séparait les trois personnes de la Trinité, ce que la Réforme avait recommandé d’éviter. Elle mettait également l’accent sur Dieu ce qui a conduit certains à minimiser le rôle de l’Église. Comment donc bien penser « la mission de Dieu » dans une perspective évangélique ? C’est le Dieu trinitaire qui est l’initiateur et le but de la mission. Il veut insérer son peuple dans sa grande mission en lui attribuant des tâches différentes selon les dons que lui, le potier, a donné à son argile (Jé 18.6 ; cf. Ép 2.10). Ainsi, les trois personnes de la Trinité ne sont pas séparées, ni la mission de Dieu de celle de son peuple.
Mission holistique
Ayant réfléchi à la définition de la mission, il nous reste à voir le contenu, le « comment ? » de la mission. Notre vécu européen actuel est marqué par le sécularisme et le pluralisme. Après trois siècles de philosophie des Lumières, l’Européen moyen a tendance à penser soit que la religion est obsolète soit que toutes les religions se valent. Or il n’est pas évident de partager sa foi avec quelqu’un qui doute de l’existence d’une « réalité ultime ». Comment faire ? Une notion développée par les missiologues du Sud et par la théorie de la communication semble nous venir en aide : celle de « mission holistique ». La Bible nous parle du ministère de Jésus et des apôtres en termes d’« évangéliser » (euangelizomai) (p. ex. Mt 11.5 ; Lc 4.18-19). Évidemment, cette activité ne s’est pas limitée aux paroles. Dans la même veine, la science de la communication nous enseigne qu’une communication n’est efficace que lorsqu’elle englobe les dimensions verbale et non verbale. La vie et les actes confirment nos paroles, et les paroles expliquent nos actes. Regardant la vie de Jésus on remarque qu’il a continuellement communiqué par sa manière d’être et ses actes, et qu’il a parlé à des moments propices (des moments kairos), soit pour expliquer ses actes soit pour répondre aux questions. Il serait donc avantageux de susciter des questions par une « communication holistique » de l’Évangile, soit par une vie et des paroles qui se démarquent afin de trouver des « personnes de paix » (Lc 10.6).
En résumé, on peut définir la mission comme suit : dans la perspective biblique, la mission est basée sur le fait que Dieu le Père a envoyé dans notre monde le Fils et, avec lui, l’Esprit dans le but de rétablir sa relation avec l’homme. Ce Dieu missionnaire veut insérer tout disciple, donc l’Église, dans sa mission pour que des hommes de tout peuple et de toute culture viennent à sa connaissance et se rassemblent dans des églises. La mission de l’Église implique donc le franchissement de barrières linguistiques, sociales, culturelles et religieuses, mais surtout de la barrière entre la foi et son absence par une communication holistique et transculturelle de l’Évangile. Elle vise la conversion des hommes à Dieu, le discipulat, l’implantation d’églises et finalement la gloire de Dieu. Elle commence dans notre localité et va jusqu’aux « extrémités de la terre » (Ac 1.8).