Faut-il interpréter les prophéties littéralement ?

Sommaire de la série

Première partie : le « maintenant »
Deuxième partie : le « tur-fu »
  • Le langage de la prophétie : dire le futur avec le présent
  • Faut-il interpréter les prophéties littéralement ? (vous y êtes)
  • Fait-il interpréter les prophéties avec la typologie ? (à paraître)
  • La prophétie à la croisée des autres genres littéraires (à paraître)
  • Un exemple bien difficile : Ézéchiel 40 à 46 (à paraître)

J’avoue bien volontiers que la question posée est volontairement simpliste car elle attend une réponse oui ou non. Or, personne ne milite pour qu’on interprète 100% de tous les détails des prophéties de manière littérale. Cependant, il y a des divergences dans le monde évangélique : certains entendent maximiser le littéralisme, en faire LA norme d’interprétation avec quelques exceptions là où d’autres sont plus mesurés. Bien entendu, la question ne se pose pas de la même façon selon les genres littéraires. Dans les évangiles, quand Jésus marche sur les eaux, c’est à prendre au pied de la lettre. Mais dans un Psaume, une poésie, quand un psalmiste dit qu’il se réfugie à l’ombre des ailes de Dieu, on ne peut pas comprendre que Dieu possèderait vraiment des ailes.

Pour la prophétie, c’est plus délicat car la question se pose en termes d’accomplissement de ce qui est annoncé. Un prophète annonce un événement futur, celui-ci va-t-il se dérouler exactement comme le prophète l’a annoncé dans les termes précis qu’il a énoncé ?

Qu’est-ce que l’interprétation littérale ?

Tout d’abord, mettons-nous d’accord sur les termes de la question avec la définition d’un ardent défenseur du littéralisme : « l’interprétation qui donne à chaque mot le même sens qu’il aurait dans l’usage normal que ce soit à l’écrit, à l’oral ou par la pensée »[1] Ryrie, précise juste après que ce littéralisme n’exclut pas l’usage de figures de style et de symboles, c’est-à-dire tous les cas où le mot n’a pas le sens qu’il aurait dans l’usage normal. Autrement dit, l’interprétation littérale n’exclut pas l’interprétation non littérale. Malgré tout, l’auteur précise qu’il est nécessaire de faire du littéralisme le principe normal et consistant de l’Écriture, en particulier pour la prophétie dans tous ses détails. Si par exemple, Ézéchiel prend soin de préciser les armes utilisées dans la bataille finale au chap. 39. , ce n’est pas pour qu’on dise que ce seront des armes équivalentes à l’époque dans laquelle s’accompliront ces événements. Si Ryrie admet l’interprétation non littérale, il est bien en mal de nous donner des critères permettant d’utiliser l’une plutôt que l’autre. Sa réponse serait plutôt : même si l’interprétation non littérale n’est pas exclue, il faut toujours utiliser l’interprétation littérale sauf en cas d’impossibilité formelle. Pourquoi alors les défenseurs du littéralisme sont-ils autant attachés à ce principe ?

  • Pour l’objectivité

D’une part, c’est pour eux le seul moyen de garantir l’objectivité de l’interprétation car une interprétation symbolique ouvrirait la porte à de multiples interprétations subjectives. Ici, les tenants du littéralisme s’opposent aux interprétations orientées vers le lecteur dans lesquelles c’est le lecteur qui est maître du sens du texte plutôt que son auteur. On se pose la question « quel sens a le texte pour moi ? » plutôt que « quel message l’auteur du texte a-t-il voulu faire passer ? », ce sont des interprétations purement subjectives. Appliqué à la Bible, cela donne des affirmations comme : « peu importe que Jésus soit vraiment ressuscité car il est ressuscité dans mon cœur ». Il faut en effet concéder que s’il faut tout interpréter au pied de la lettre, il n’y a pas d’errements possibles dans la compréhension d’un texte. Mais on peut se demander si une telle insistance sur l’interprétation littérale n’est pas un excès inverse ?

  • Pour la gloire de Dieu

C’est également la méthode d’interprétation qui rendrait le plus honneur à la puissance de Dieu, car il se produit dans l’histoire ce qui a été annoncé tel qu’annoncé. Cela met en avant la puissance de Dieu capable d’agir au delà ce qu’on peut imaginer possible.

Mais est-ce bien juste ? Et comment évaluer une telle proposition ? On a de la chance parce qu’on a d’une part des exemples d’interprétation d’accomplissement dans l’usage que fait le Nouveau Testament de l’Ancien et d’autre part l’Ancien Testament nous donne lui-même une explication du fonctionnement de la révélation chez les prophètes.

L’usage de l’AT par le NT

Les accomplissements sont parfois littéraux, c’est une possibilité qu’il ne faudrait surtout pas exclure, par exemple, Michée annonce que le Messie naîtra à Bethléem (Mi 5.2) et Jésus naît effectivement à Bethléem. Mais les apôtres qui ont écrit le Nouveau Testament, sont loin d’être « consistants » avec le principe d’interprétation littérale. La place me manque pour citer l’intégralité des accomplissements de l’Ancien Testament dans le Nouveau mais voici tout de même quelques exemples :

  • Dans Ézéchiel 37.28, le prophète annonce que le Seigneur établira en Israël « un bâtiment pour toujours ». Littéralement, un temple est un bâtiment cultuel. Pour que ce passage s’accomplisse littéralement, il faut qu’un temple soit construit et qu’il dure éternellement. Or dans la vision finale de l’Apocalypse 20.22, Jean précise : « il n’y avait pas de temple dans la ville : son temple, c’est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, ainsi que l’Agneau. » Dans l’Apocalypse, on trouve de nombreuses références à Ézéchiel. Jean en est un fin connaisseur et il ne pouvait ignorer le passage de 37.28. C’est peut-être même pour cela qu’il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de temple.  Il n’y a pas de temple car la présence directe du Seigneur rend non nécessaire l’existence d’un temple. La présence de Dieu sert de temple éternel, ainsi la prophétie d’Ézéchiel s’accomplit mais pas littéralement quand bien même, il n’y a pas d’impossibilité formelle à ce qu’un temple soit établi éternellement par Dieu.
  • Dans le récit de la naissance de Matthieu 1.18 à 2.22, quatre textes de l’Ancien Testament sont cités et accomplis par la naissance Jésus Christ. Parmi ces quatre, deux s’accomplissent plutôt littéralement les autres s’accomplissent de manière typologique[2]. Vous trouverez plus de détail sur ces passages dans la série de méditations sur la naissance de Jésus, le retour du roi.
  • Dans Hébreux 2.13, il est dit que Jésus n’a pas honte d’appeler frères ceux qu’il a sauvés car : « Il (Jésus) dit aussi : Pour moi, je mettrai toute ma confiance en Dieu, et encore : Me voici avec les disciples que Dieu m’a donnés ». Les versets cités et mis dans la bouche de Jésus se trouvent dans Ésaïe 8.17-18. Or dans Ésaïe, c’est le prophète lui-même qui dit cela en réaction à ce que Dieu a annoncé mais ce n’est pas Jésus qui parle, et ce qui est dit ne semble pas être une annonce de quelque chose qui doit s’accomplir. Pour l’auteur d’Hébreux, Ésaïe qui exprime sa confiance en Dieu avec ses disciples préfigure Jésus et ceux qu’il sauve. Mais littéralement, c’est Ésaïe qui parle.

Ces exemples non exhaustifs montrent que les principes d’interprétation qui sont à l’œuvre au sein même de l’Écriture, sont un peu plus compliqués que la simple interprétation littérale même si elle n’est pas exclue. Cette complexité est liée à la pédagogie de la révélation de Dieu à travers l’histoire comme Moïse l’explique dans la Loi.

Les principes bibliques de la révélation prophétique

Le plus grand des prophètes de l’Ancien Testament, Moïse, n’a pas écrit de livre dont le genre est « prophétique ». Il a écrit la Loi. Or c’est précisément parce qu’il est le plus grand des prophètes qu’il a écrit la Loi et non un livre prophétique. Une différence fondamentale existe entre Moïse et les autres prophètes. Celle-ci explique que leur production littéraire est d’un genre différent, ce qui est souligné dans le texte de Nombre 12.6-8 :

 6Écoutez mes paroles, je vous prie ! S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, c’est dans une vision que je me ferai connaître à lui, c’est dans un rêve que je lui parlerai. 7 Il n’en est pas ainsi de Moïse, mon serviteur. Il est l’homme de confiance pour toute ma maison. 8 Je lui parle de vive voix, en vision, mais sans énigmes, et il contemple la forme même du Seigneur. Pourquoi donc n’avez-vous pas craint de parler contre Moïse, mon serviteur ?

Dans cet épisode où Moïse est contesté par son frère et sa sœur, Dieu intervient pour remettre les pendules à l’heure en soulignant la distinction qui existe entre lui et les autres prophètes. La révélation des autres prophètes est caractérisée par des rêves, des visions et des énigmes. Plusieurs façons de désigner un message qui n’est pas extrêmement clair. Alors qu’à l’opposé, Dieu parle à Moïse de manière claire, « de vive voix ». Autrement dit, Dieu parle de manière littérale à Moïse mais il parle de manière imagée aux autres prophètes.

Bien entendu, Dieu pourrait parler à ses prophètes de manière claire et précise, s’il le voulait. Pourquoi alors parler de manière énigmatique à ses prophètes ? La première piste est suggérée par le texte lui-même : Dieu donne à Moïse une place particulière parmi les prophètes. Il en fait le plus grand des prophètes et limite l’accès des autres prophètes à sa personne.

Or dans Dt 18.15 & 18 Moïse annonce la venue d’un autre prophète « comme moi », un prophète que le Peuple devra écouter, un prophète qui dira tout ce que le Seigneur lui aura ordonné. Ce prophète, c’est Jésus, bien sûr. Le fait qu’aucun autre prophète par la suite, n’arrive à sa cheville, prépare et suscite l’attente de la venue de cet autre prophète comme Moïse qui jouit d’une proximité particulière avec le Seigneur pour être amène d’annoncer fidèlement sa Parole et la transmettre, comme il le dit lui-même : « Je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père » (Jn 15.15). Dieu met en place un mode de révélation énigmatique avec ses prophètes parce que ce mode est au service d’une glorieuse pédagogie : elle annonce et met en lumière Jésus-Christ, la parole vivante de Dieu.

Nous avions vu avec le précédent article que Pierre aussi a souligné la vision partielle du Salut des prophètes de l’Ancien Testament. Mais ce n’est pas parce que les prophètes ont une vision floue de ce qu’ils annoncent que c’est quelque chose de faux.  Et ce n’est pas parce qu’ils peuvent faire usage d’un langage en partie figuratif, que l’interprétation en est subjective puisque c’est l’auteur qui donne le sens de son texte, de même pour les symboles. La Bible use de langage symbolique par ailleurs, ne serait-ce que Jésus avec ses paraboles, ce n’est pas pour autant qu’il laisse la porte à de nombreuses interprétations subjectives.

D’autant que le langage figuratif des prophéties ne se fait pas n’importe comment : il utilise des raisonnements typologiques. Mais ça, c’est le sujet de l’article suivant ! (suspense)

[1] Ryrie, Dispensationalism, p. 98

[2] Accomplissement typologique ! Fichtre, c’est du jargon théologique ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Patience, la typologie est le sujet de l’article suivant.

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