Le Millénium dans tous ses états (3) : Le Prémillénarisme

LA FIN DU MONDE ! Jésus va revenir et il va juger les vivants et les morts. Où ? Quand ? Comment ?

Il y a quelques décennies, les évangéliques polémiquaient vivement au sujet des différentes théories autour de ces questions, c’est-à-dire au sujet de l’Eschatologie (la doctrine des choses de la fin). De nos jours, l’atmosphère s’est quelque peu détendue, car la plupart sont d’accord sur le fait que les divergences touchent à des questions secondaires, l’important est d’être d’accord sur le fait que Jésus va revenir, et avec lui, le jugement, la résurrection et la nouvelle création, youpi ! Mais toujours est-il que ces divergences subsistent.

Sommaire de la série

Le déroulement de la fin du monde d’après le Prémillénarisme classique

Le prémillénarisme est probablement l’interprétation du millénium la plus répandue dans les Églises et aussi l’une des plus ancienne, puisqu’on en retrouve des versions dès le 2ème siècle avec Justin Martyr[1].  On parle de « pré » car, dans cette hypothèse, Jésus revient avant l’instauration du Millénium et de « classique » pour la distinguer du prémillénarisme dispensationaliste qui fera l’objet d’un autre article.

Le millénium est compris comme un règne terrestre du Christ dans le monde qui va commencer par une venue visible et glorieuse de Jésus. Arrivant depuis le ciel, il établira son royaume sur terre avec son Église.

Lors de sa venue, les morts vont ressusciter et les vivants vont être transfigurés, puis l’Église va être enlevée pour aller à la rencontre du Seigneur, (d’après 1 Th 4) pour l’escorter ensuite sur terre et instaurer ce Royaume de Mille ans sur terre. Après les 1000 ans de règne terrestre, il y a une grande révolte menée par Satan qui a été relâché, mais cette révolte est réprimée par le Christ, le reste des morts ressuscitent, le jugement final vient puis la nouvelle création. À noter également, que pour beaucoup de prémillénaristes, la terre commence à être renouvelée dès le millénium.

Il existe plusieurs variantes de cette position qui viennent avec leur lot de mots rigolos pour les distinguer. La différence porte sur le rapport entre la tribulation (c.-à-d. une période intense de persécutions qui aura lieu avant le millénium) et l’enlèvement de l’Église. Si on est prétribulationiste, on pense que la tribulation vient avant l’enlèvement de l’Église. Si on est posttribulationiste, on pense qu’elle vient après. Et si on est mitribulationiste, devinez quoi ! L’enlèvement vient au milieu de la tribulation[2].

Le sens du millénium

Le millénium donne aux croyants de maintenant l’Espoir de voir la bonté de Dieu se manifester à l’échelle d’une société. Le salut ne se verra plus simplement à l’échelle individuelle mais à l’échelle de la société. Le plan de Dieu se déroule en plusieurs étapes, le millénium en est une étape intermédiaire entre la période de l’Église marquée par la persécution, et la nouvelle création avec la disparition du péché. La perspective de voir naître une société juste encourage le croyant à persévérer malgré les situations d’injustice qu’il peut rencontrer à présent.

Mais en même temps, cette étape montre que même dans des situations idéales où le règne de Dieu est visible avec paix et justice, l’attachement des hommes à Dieu est superficiel et que leur cœur est décidément bien corrompu puisque nombreux seront ceux qui se révolteront contre Dieu lorsque Satan sera relâché. Cette manifestation de la rébellion humaine met alors en lumière le bienfondé du jugement final de Dieu.

Qu’en penser ?

Lecture prémillénariste d’Apocalypse 20.1-10

Le prémillénarisme fait une lecture chronologique plutôt littérale de la dernière séquence de visions de l’Apocalypse. Suite au jugement de la bête et du faux prophète, Satan est lié pour mille ans (ch. 20.1-3) et est mis hors d’état de nuire de manière quasi-complète puisqu’il ne peut plus séduire les nations, ce qui laisse au Christ, les pleins pouvoirs sur terre.

La première résurrection (Ap. 20.4-5) est comprise comme une résurrection physique qui ne s’appliquera qu’aux croyants lors du retour de Jésus. Le texte d’Ap 20 ne parle cependant pas de la venue de Jésus sur terre mais il est associé avec celui d’1 Th 4 qui le mentionne. Cette stratégie d’interprétation repose sur une démarche d’association dans laquelle on va combler les silences d’un texte par un autre texte (et vice-versa). Ce qui est parfois risqué : il faut présupposer que  la résurrection mentionnée dans 1 Thessaloniciens est la première résurrection d’Ap 20. Si ce n’est pas le cas, on va faire un contresens. 1 Thessaloniciens ne mentionne que la résurrection de croyants et pas celle des non-croyants, ce qui peut correspondre avec le texte d’Apocalypse. Parler de première résurrection enseignerait avant tout que la résurrection se déroulera en deux temps.

Ces ressuscités règnent alors pour 1000 ans avec le Christ. La durée est comprise soit littéralement soit de manière symbolique, les 1000 ans indiquant une longue période. Le texte est bref et n’explique pas la nature de ce règne, est-il terrestre ou spirituel ? Dire que ce règne se déroule sur terre avec Jérusalem pour capitale est une supposition.

Puis Satan est relâché à la fin des 1000 ans (v. 7). Il séduit à nouveau les nations sur toute la terre et les rassemble pour combattre le peuple de Dieu (v. 8-9) mais il est définitivement défait et jeté dans l’étang de feu. Le rassemblement réutilise certains termes de la prophétie d’Ézéchiel 38&39 où l’on décrit un roi, Gog, qui s’apprête à attaquer Israël qui vit en paix, dans la tranquillité et est sans défense suite au retour d’Exil et au salut décrit dans les chap. 34 à 37. Ce texte est en arrière-plan d’Ap 20 et comme Gog s’attaque à un Royaume, c’est un des points forts en faveur d’un millénium terrestre si on pense que la prophétie va s’accomplir de manière plutôt littérale.

L’Étang de feu est le lieu du jugement final, la bête et le faux prophète y avaient été jetés au ch. 19.20 et les hommes condamnés y seront jetés au 20.14 et 21.8, c’est ce que Jean appelle la seconde mort.

Évaluation Critique

Un texte chronologique ?

Cette interprétation repose avant tout sur une lecture linéaire des événements que Jean a vus dans Ap 20. La logique est la suivante : si Jean a vu chacune des séquences dans cet ordre, les événements se dérouleront dans cet ordre. Cette compréhension est plutôt instinctive, elle n’est pas absurde mais il faut se demander si c’est la meilleure ou même la seule pour rendre compte du texte. Remarquons tout d’abord, que les événements décrits par l’Apocalypse ne se déroulent pas nécessairement de manière linéaire. Ainsi, au chap. 12, l’auteur fait un grand retour en arrière dans le temps, en racontant la naissance de Jésus[3] et de l’Église. Jean voit des visions dans un certain ordre, mais cela n’implique pas nécessairement un accomplissement chronologique de ces visions. Jean pourrait très bien voir ces visions dans un ordre thématique. Mais est-ce le cas au chap. 20 ?

Le texte d’Ap 20.1-10, rapporte deux visions qui se trouvent, en fait, dans une série de 7 visions qui commencent au chapitre 19, toutes introduites par « je vis » et fonctionnent par paires comme suit :

  • Vision 1 : ch. 19.11-16 : Présentation de Jésus, le Juge.
  • Visions 2&3 : ch. 19.17-18 & 19-20 : Jugement de la bête et du faux prophète.
  • Visions 4&5 : ch. 20.1-3 & 4-10 : Jugement de Satan.
  • Visions 6&7 : ch. 20.11-15 & ch. 21.1-8 : Jugement de tous les hommes

Dans la vision 3, les nations sont rassemblées par la bête pour faire la guerre à Jésus et son armée. La bête est jetée dans l’Étang de feu mais son armée est dévorée par les charognards envoyés dans la vision 2. C’est une allusion à Éz 39.4 dans laquelle Gog et son armée sont donnés en pâture aux charognards. Or dans la vision 5, il est encore question d’un rassemblement des nations, cette fois par Satan avec Gog, et l’armée reçoit une pluie de feu, châtiment annoncé par Éz 38.22&39.6. Un même événement annoncé par Ézéchiel est appliqué par Jean dans les visions 2, 3 et 5. Et si ces visions ne racontaient en fait, qu’un seul événement ? Le jugement final mais pris sous trois angles différents,  l’angle de la bête et du faux prophète, l’angle de Satan et l’angle de tous les hommes.

Un règne terrestre et une résurrection physique ?

À aucun moment le texte ne parle de règne terrestre et de résurrection physique ! Est-ce la seule explication qui s’impose ? Peut-on alors comprendre le texte autrement ? Oui, et d’au moins deux façons :

  • L’Apocalypse ne précise pas le cadre de sa vision, où les morts ressuscitent-ils ? Les deux éléments du cadre que Jean voit sont : des trônes et les âmes des chrétiens morts en martyrs. La scène pourrait très bien se situer au ciel. Dans ce cas, le millénium est le règne des martyrs qui sont auprès du Christ et la première résurrection est le fait d’être avec le Christ.
  • Le Nouveau-Testament ne parle pas de résurrection uniquement pour parler de la résurrection des corps. Par exemple, dans Éph 2.6, Paul dit aux chrétiens d’Éphèse : « il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui dans les lieux célestes, en Jésus-Christ ». Les croyants sont déjà ressuscités, de manière spirituelle. En plus, cette résurrection ne concerne que les croyants tout comme Ap 20. Mais Paul dit aussi qu’ils sont assis dans les lieux célestes. Être assis, c’est une métonymie pour parler du règne. Le Christ est assis à la droite de Dieu dans les lieux célestes (Éph 1.20) et maintenant, les chrétiens sont associés à lui dans son règne. Il est donc question dans le même verset, d’une résurrection spirituelle et d’un règne céleste pour des croyants qui vivent sur terre. Le millénium pourrait donc être ce règne céleste des ressuscités spirituels avec Christ.

Conclusion

En suivant les visions de Jean de manière linéaire, le prémillénarisme offre une interprétation de l’Apocalypse, en somme, assez simple. C’est cette simplicité qui est sa principale force puisque son interprétation est cohérente et plausible. D’un autre côté, la question de la chronologie dans l’Apocalypse n’est pas aussi simple que cela et les éléments des visions de Jean peuvent trouver des explications alternatives convaincantes. Alors peut-être serons-nous tous surpris au final.

[1]             Cependant, le sujet ne fait déjà pas l’unanimité dans l’Église à l’époque des Pères, dans Dialogue avec Tryphon, Chap. LXXX, il explique que tous les chrétiens et même les vrais chrétiens ne partagent pas le même avis.

[2]                     Pour travailler votre diction, vous pouvez essayer de prononcer 10x de suite : « je suis prémillénariste posttribulationiste » sans bafouiller.

[3]                     Car c’est bien Jésus, l’enfant qui va « faire paître les nations avec un sceptre de fer ». C’est une citation du Psaume 2.9, un Psaume messianique déjà appliqué à Jésus dans Ap. 2.27 & 19.15.

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7 Responses

  1. Philip dit :

    Bonjour,

    Est-ce que vous savez si les autres articles sur le Millénium seront bientôt en ligne ?

    – Le Prémillénarisme dispensationaliste (à paraître)
    – L’Amillénarisme (à paraître)
    – Conclusion : et si on s’était tous plantés ? (à paraître)

    Merci

    Cordialement
    Philip

  2. Philip dit :

    Bonjour,

    Je renouvelle ma requête au cas où.

    Par ailleurs, le Prémillénarisme ne fut jamais majoritaire dans l’histoire de l’église. Il va de soi qu’une interprétation, en théologie, ne saurait nécessairement être vraie simplement parce qu’elle a l’assentiment de la majorité. Cependant, ce n’est que depuis le 19ème siècle que cette “école” théologique domine, peu ou prou, le monde évangélique et, a fortiori, depuis John Nelson Darby. Certes, on peut en trouver quelques traces chez Justin Martyr ou un certain Éphrem le Syrien mais il ressort que la déduction contemporaine d’une telle doctrine dans ces anciens documents tient plus de l’exégèse “partisane” que d’une véritable trouvaille; d’autant qu’il faut procéder à un émondage sévère et fort laborieux dans les écrits de certains Pères de l’Eglise pour en extraire un prémillénarisme putatif. Du reste, ces positionnements (pré-millénarisme, post-millénarisme, A-millénarisme) n’avaient guère de sens au temps de l’Eglise primitive.

    Ainsi, je n’ai pas encore lu la conclusion de votre très intéressante synthèse mais j’en suppute (et en partage) plus ou moins la démonstration : à savoir que le monde évangélique, dans son ensemble, se “plante” dans cette recherche effrénée d’un “storyboard” théologique avec l’espoir qu’il s’aligne comme sur du papier à musique avec les Ecritures. Il est fort probable, voire certain, que l’issue de la Parousie nous surprenne majoritairement et défie toute l’histoire de l’eschatologie.

    Cordialement
    Philip

  3. Susanne dit :

    Tout comme Philip, j’ai hâte de lire les articles à paraître depuis bien longtemps déjà puisque cet article a été écrit en 2017, et qu’on est en 2019… sortiront-ils?
    – Le Prémillénarisme dispensationaliste (à paraître)
    – L’Amillénarisme (à paraître)
    – Conclusion : et si on s’était tous plantés ? (à paraître)
    À mon avis, il faut vraiment toutes les interprétations pour pouvoir se forger une idée, un avis… Or j’ai beaucoup de peine à trouver quelque chose sur l’amillénarisme malheureusement! J’attends donc avec impatience…

  4. ZAGRE dit :

    Qu’on soit millénariste, a-millénariste, pré-millénariste ou post-millénariste, cela n’entache en rien notre salut. Ne soyons pas divisés: pourvu qu’on ait l’assurance de notre salut, qu’on craigne Dieu et qu’on soit humble et le reste.

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