Trois clefs pour comprendre un livre prophétique, un exemple

Après avoir vu trois clefs pour comprendre un livre prophétique et des questions pour réfléchir aux textes prophétiques, voici le texte d’Amos 5.1-17 qui va servir d’exemple à notre méthode.

Sommaire de la série

Première partie : le « maintenant »
Deuxième partie : le « tur-fu »

Contexte : les indices du texte, des livres historiques et de l’archéologie

Le premier verset du livre plante le décor : Amos prophète sous les règnes des rois Ozias à Juda et Jéroboam (deuxième du nom) en Israël qui a régné entre 793 et 753 av. J.-C. Amos est un éleveur qui vient de Juda (de Teqoa, soyons précis) mais s’adresse au Royaume d’Israël (v. 1 : Paroles d’Amos (…) au sujet d’Israël).

Le thème de la richesse apparaît régulièrement dans Amos lorsqu’il traite les samaritaines de grosses vaches en 4.1, par exemple. Ici, il ne fait pas allusion à leur corpulence mais à leur opulence (les vaches du Basan était réputée pour être de beaux et gras animaux). Les éléments décoratifs en ivoire sont un des signes extérieurs de richesse prisés à l’époque. On a retrouvé un certain nombre de sculpture en ivoire à Samarie, la capitale du royaume d’Israël.  Amos mentionne justement, les palais d’ivoire en 3.15 et les lits incrustés d’ivoire en 6.4.

On se doute avec ces exemples qu’Israël n’est pas dans une situation de famine mais il semble que cette richesse ne profite qu’à quelques puissants qu’Amos dénonce tout au long du livre à cause de leur injustice et leur exploitation des plus faibles. Il dénonce également une piété de façade mêlée d’idolâtrie, mais surtout une piété contredite par l’injustice sociale (cf 2.8 ou 5.21-27 par exemple).

Jéroboam, dont le règne est évoqué dans 2 R 14.23-29,est probablement l’un des plus puissants rois d’Israël qui a mené son pays à l’apogée de sa puissance. On y apprend, en outre qu’il fut mauvais, qu’il a reconquit tout le territoire qui avait été perdu après le règne de Salomon, donc il restaure les frontières à leur expansion maximale. Cet âge d’or sera de courte durée, puisqu’à peine deux décennies plus tard, Israël sera rayé de la carte par l’empire Assyrien.

Observation

Quand on lit un passage comme celui-ci pour la première fois, on peut avoir une impression de bazar ! Beaucoup de choses apparaissent sans ordre et logique apparente. Mais une fois qu’on surligne « bêtement » les 5 accents du discours argumentatif prophétique, la structure du texte commence à s’éclaircir.

Amos 5.1-17 : 

Plutôt que la structure « thèse, antithèse, synthèse » dont on a l’habitude, ce texte est articulé avec une structure en miroir où la première partie fait écho à la dernière, la deuxième à l’avant-dernière, etc. Ce qui donne :

A (v. 1-3) : Complainte à cause du châtiment

B (v. 4-6) : Cherchez Dieu

C (v. 7) : Dénonciation de l’injustice (principe général)

D (v. 8-9) : La puissance de YHWH

C’ (v. 10 – 13) : Dénonciation de l’injustice (cas concrets)

B’ (v. 14-15) : Cherchez ce qui est bon

A’ (v. 16-17) : Lamentation à cause du châtiment

A & A’

Les parties A et A’  sont entièrement constituées de l’annonce du châtiment avenir. On y observe également l’utilisation du langage de la plainte et de la lamentation : « Écoutez cette complainte que j’entonne sur vous » v.1, «  hélas, hélas », « deuil », « chant funèbre » v.16, « se lamenter » x3 vv.16-17.

 B  & B’

Les parties se font écho avec la répétition des expressions « cherchez / ne cherchez pas » et « vivez / afin que vous viviez » v.4&14. Ce sont justement les impératifs de cette partie qui appellent à changer de comportement.

La partie B appelle à chercher Dieu plutôt que les idoles, elle se concentre sur la relation avec Dieu. Tandis que la partie B’ appelle à chercher à faire le bien dans ses relations avec les autres, elle se concentre sur les relations avec le prochain.

Notons également que dans la partie B, l’appel à chercher Dieu est complété par une annonce de châtiment, la menace de destruction des lieux qui abritaient les sanctuaires idolâtres d’Israël, tandis que la partie B’ associe l’appel à chercher le bien avec la promesse d’être épargné par le châtiment.

C & C’

Dans ces parties se trouvent les dénonciations des fautes d’Israël. Tout d’abord la partie C annonce le principe général : Israël a du mal avec la justice et l’équité puis dans la partie C’ le détail des fautes avec des exemples est donné.

D

Au centre du texte, se trouve Dieu. On pourrait chipoter et affiner la structure de ces versets ainsi :

D (v. 8a) – Maîtrise de Dieu sur les éléments puissants de l’univers

E (v. 8b) – Son nom, c’est Yahwé.

D (v. 9) – Maîtrise de Dieu sur les gens puissants dans le monde.

On souligne ici essentiellement la puissance de Dieu. L’allusion à Orion et les Pléiades, les astres qui marquent les saisons, fait peut-être référence aux pratiques idolâtres qui se confiaient dans les astres plutôt que dans le Maître des astres.

Interprétation

Amos s’adresse à des gens qui pensent être dans les bonnes grâces de Dieu[1] mais qui ne le sont pas à cause de leur idolâtrie et de leur injustice. Dans ce texte, le prophète lie subtilement les deux thèmes principaux d’idolâtrie et d’injustice sociale en mettant en parallèle les exhortations à chercher Yahwé d’un côté et chercher le bien de l’autre afin, dans les deux cas, de vivre. Leur injustice sociale, leur recherche du mal montrent qu’au fond ils ne sont pas vraiment attachés au Seigneur. Au fond, ils sont attachés à eux-mêmes, leur pouvoir sur les plus faibles et leur prospérité.

Mais celui qui a le pouvoir, c’est le Seigneur (partie D). Il est celui dont dépend tout être humain (dont les puissants malgré leur richesse) et il est en mesure d’accomplir les châtiments annoncés. Il vaut donc mieux le chercher lui plutôt que ce qui donne l’illusion de la sécurité. La grande sévérité des châtiments, soulignée par le style du chant funèbre, montre l’importance pour Dieu de se préoccuper de son prochain.

Ces châtiments, justement sont un renversement de la situation des riches : ils avaient tout et ils n’auront plus rien. Le texte montre que ce châtiment à un caractère inéluctable et soudain : « vous avez planté des vignes, vous n’en boirez pas le vin ». Les riches ne pourront pas profiter des fruits de leurs biens ce qui veut dire que la fin est imminente… Et effectivement, après le règne de Jéroboam en 753, Israël au sommet de sa puissance, ce sera la dégringolade jusqu’à la destruction de Samarie en 722 avec la déportation de la majorité de la population. Non, ceux qui ont des vignes n’auront pas profité longtemps de leur vin.

Et donc dans un monde qui est sur le point de vaciller, la seule valeur stable, c’est le Seigneur. Le seul moyen de vivre est de se confier en lui. Ce texte est à la fois un message d’espoir pour les exploités car le Seigneur va rendre justice et un appel à changer pour ceux qui font le mal, une porte de secours leur est ouverte.

Application

Ce texte interroge sur le rapport entre l’amour de Dieu et l’amour de Prochain. Jésus n’a rien inventé en faisant des deux commandements le fondement de toute la loi (Mt 22.40). On aime Dieu en aimant notre prochain et on aime notre prochain parce qu’on aime Dieu. Mais de nos jours, nos contemporains vont plutôt séparer ce qui est de l’ordre de l’éthique de société : l’amour du prochain est de l’ordre de la foi. Mais une bonne piste de réflexion avec un non croyant est de se questionner sur le fondement de l’amour du prochain. S’il croit que c’est super d’aimer les autres de manière désintéressée, pourquoi donc ? Et pourquoi n’est-ce pas mieux de s’aimer soi et de devenir le maître du monde en écrasant les autres.

Le mouvement de renversement des puissants en faveur des humbles trouve son ultime accomplissement avec Jésus Christ. Rappelez-vous du chant de Marie : « Il a précipité |les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles » (Lc 1.52). Jésus est ce Maître de l’Univers qui s’est fait humble pour que les humbles puissent « chercher Dieu et vivre » et que ceux qui rejettent Dieu ne puissent dire que « hélas, hélas ! »

Ce texte résonne de manière intéressante en période d’agitation sociale où la question de la justice par rapport aux richesses est au cœur des débats. Si je suis quelqu’un de privilégié, le texte m’interroge sur la manière dont je vis mes privilèges : est-ce qu’ils me rassurent alors que seul Dieu devrait nous rassurer car il est le maître de l’univers ? Est-ce que mes largesses me permettent de faire profiter les autres ? Si je suis de condition modeste et exploité, je peux avoir l’assurance que Dieu se préoccupe de moi dans ma situation et que de manière ultime, il me rendra justice.

[1] Avec le v. 14 : « et qu’ainsi le Seigneur, le Dieu des Armées, soit avec vous, comme vous le dites. » Les Israélites pensent vraiment que Yahwé est avec eux.

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