Un exemple bien difficile : Ézéchiel 40 à 46

Sommaire de la série

Première partie : le « maintenant »
Deuxième partie : le « tur-fu »
Ça fait beaucoup tout ça, et si on faisait un résumé synthétique
  • La fiche résumé (à paraître)

Pour conclure cette série d’articles, nous allons prendre un texte prophétique qui a donné beaucoup de fil à retordre à ses lecteurs comme exemple dans lequel nous allons appliquer les principes que nous avons développé au fil des articles.

Dans les chapitres 40 à 46, Ézéchiel a eu une vision d’un temple étrange et mystérieux. Une vision est, de prime abord, une première clef de lecture qui oriente notre interprétation pour mieux en ouvrir le sens. Les visions sont, en effet, fortement marquées par des symboles et des éléments figuratifs. C’est explicitement le cas dans la précédente vision d’Ézéchiel : 37.11 : « Il me dit : Fils d’homme, ces ossements-là représentent toute la communauté d’Israël. »

L’interprétation littérale

Cependant, pour certains, cette vision doit s’interpréter littéralement. Ce que voit Ézéchiel est alors le plan du temple à reconstruire. En général, c’est pour le retour de Jésus qu’est prévue cette reconstruction.

Cependant, cette interprétation se heurte à plusieurs problèmes :

  1. J’ai déjà souligné précédemment[1] que ce temple est annoncé pour être construit « pour toujours » or dans la vision finale de l’Apocalypse, il n’y a plus de temple.
  2. Toutes les dimensions du temple ne sont pas données. Ceci pose problème pour le reconstruire. Les dimensions qui nous sont données montrent surtout l’agencement des espaces, vu de haut, avec des rapports de grandeurs qui évoquent la perfection.
  3. Les premiers lecteurs n’ont pas interprété la vision d’Ézéchiel littéralement, car le temple a bien été reconstruit lors du retour d’Exil mais pas selon les indications d’Ézéchiel.
  4. Ce qui nous amène au plus gros problème la question du « quand ». Car la fonction du temple est précisée : une importante partie du temple et des règles sont destinées aux sacrifices d’expiation pour le péché. Or nous savons qu’avant Christ le temple n’a pas été construit mais après lui, les sacrifices d’animaux sont rendus caducs par son seul unique et efficace sacrifice, comme le développent les chap. 7 à 10 d’Hébreux.[2]

Mise en place de la vision

Ézéchiel est emmené sur une haute montagne où il voit le temple. Ici, un parallèle se dresse immédiatement avec Moïse qui avait vu le temple céleste sur le mont Sinaï. De plus, cette vision se déroule à une date très précise : 25 ans après le début de l’Exil. Soit la moitié d’un jubilée – l’année de la libération qui oriente vers le salut. Cette vision place Ézéchiel à un moment déterminant de l’Exil : la perspective de la fin du châtiment de l’Exil qui  est mis en correspondance avec un autre moment déterminant de l’histoire d’Israël et une autre libération. Ce qui nous oriente à prendre un chemin typologique.

Structure du texte

Le texte est disposé en trois grandes parties : 1) Ch. 40-42 La visite guidée d’Ézéchiel qui montre les différents lieux du temple. 2) Ch. 43.1-12 : le retour de la gloire de Dieu dans le temple. 3) Ch. 43.13-46 : les différentes règles de fonctionnement du temple.

La partie centrale va nous livrer la clef de lecture. La gloire de Dieu, une fois revenue dans le temple par la porte Est, explique à Ézéchiel le problème auquel répond le temple : « ils ont profané mon nom » (v. 7) ; « il n’y avait qu’un mur mitoyen entre eux et moi » (v. 9). Effectivement, à l’époque des rois, leur palais été accolé au temple. Ils étaient alors très tentés de faire de ce temple leur chapelle privée. Imaginez en plus que ces rois sont de fieffés idolâtres ! Puis Dieu donne sa mission à Ézéchiel : « Toi, humain, fais à la maison d’Israël la description de la Maison : qu’ils soient confus de leurs fautes et qu’ils mesurent le plan. » Le but de cette description est de susciter la repentance du Peuple.

Notons au passage que La gloire de Dieu avait illuminé le temple de Salomon lors de son inauguration, ici elle va demeurer dans le temple.

La forteresse de sainteté (Ch. 40 – 42)

Le temple se présente à Ézéchiel comme une forteresse. Tout comme dans le temple du Pentateuque, ce temple est subdivisé en zones concentriques. Plus on s’approche du lieu très saint, c’est-à-dire de la présence de Dieu, plus la zone est sainte, plus il faut être pur pour y accéder[3].

L’accent est d’avantage mis sur les sacrifices que dans les anciens temples. Il est possible de faire des sacrifices un peu partout dans le complexe. Au centre du complexe se trouve l’autel des sacrifices pour marquer leur grande importance.

Mais l’élément le plus surprenant est l’aspect défensif du temple. Non seulement entre l’intérieur du temple et l’extérieur. Mais aussi entre les différentes zones du complexe cultuel. Ainsi, pour passer d’une zone à une autre, il faut passer à travers d’imposants portiques qui sont des ouvrages défensifs qu’on a retrouvés dans les forteresses du Proche Orient Ancien. Ceux-ci fonctionnent comme des SAS/points de contrôle pour réguler l’accès aux zones de Sainteté.

La muraille qui entoure le temple est le premier élément qu’Ézéchiel voit, mais sa fonction nous est révélée à la fin de la visite guidée (42.20), et elle est représentative de l’ensemble : « Il y avait là une muraille, dont la longueur et la largeur faisaient cinq cents coudées, pour séparer le sacré du profane. »

Donc en investissant dans la sécurité et en mettant l’accent sur les sacrifices, le temple va hausser d’un niveau le degré de séparation entre les espaces de sainteté.

La Loi du temple (43.13 – 46.24)

Pour accompagner les changements d’agencement des espaces, une nouvelle loi est donnée ou plutôt, une reconfiguration de la loi de l’Ancien Testament. Ce qui est alors frappant, sont les différences avec la loi de la Torah.

  • Les sacrifices

Parmi tous les sacrifices qui étaient possibles dans la Torah, il ne reste pour le quotidien que les holocaustes et les sacrifices de communion qui permettent d’exprimer la consécration et la communion du peuple avec Dieu.

Les sacrifices pour le péché, ne sont désormais plus faits lorsque la personne commet un péché involontaire mais lors des fêtes.

  • Le prince

Dans les oracles de restauration d’Ézéchiel (à partir du chap. 34), on n’entend plus parler de roi mais à la place un « prince » ou un « chef » est établi. Et alors que dans la Torah le rôle religieux des prêtres et politique des rois est rigoureusement séparé. Ici, le prince a un rôle cultuel prépondérant.

IL peut prendre un repas cultuel en présence de Dieu dans le portique Est (la gloire de Dieu était passée par là en revenant dans le temple et personne d’autre n’a le droit d’aller dans ce portique)

On ne retient que deux fêtes dans le calendrier liturgique : la Pâque (qui fête la libération du peuple) et le jour des expiations (où on demande pardon pour les péchés) qui sont associés en étant rapprochés dans le calendrier. Or pendant ces fêtes, alors que chacun devait offrir un sacrifice pour son propre péché, c’est le Prince qui fournit les sacrifices pour son propre péché et pour le peuple en entier.

Ces dispositions, non seulement confèrent un rôle cultuel au prince, mais garantissent également l’équité entre le prince et le peuple. Les rois avaient dépouillé les brebis (cf chap. 34) maintenant, ils sont obligés d’en prendre soin.

En résumé des chap. 40 à 46

Les deux principaux traits qu’on retire de ces chapitres sont :

1) l’accent sur la sainteté de Dieu, qui se manifeste par une plus stricte séparation entre les degrés de sainteté. Dieu est saint et on ne peut pas l’approcher comme ça. Mais en même temps, il y a la grâce, les prêtres pécheurs sont réintégrés, les sacrifices de tous les jours sont les sacrifices de consécration et de communion. La dimension d’expiation est toujours présente mais circonscrite aux fêtes.

2) le souci de justice et d’équité avec les dispositions liées au prince. La dimension sociale n’est pas indépendante de la dimension religieuse car dans les dispositions religieuses, on s’assure que l’équité sociale est respectée et garantie.

L’accomplissement

Maintenant, si nous relevons les éléments que nous avons remarqués entre la Torah, la loi d’Ézéchiel dans un tableau et que nous y rajoutons la manière dont le Nouveau Testament traite ces thématiques, nous aboutissons à ceci :

Moïse Ézéchiel Nouveau Testament
Sacrifice d’expiation à chaque fois qu’on pèche Sacrifice d’expiation offert par le prince pendant les fêtes Jésus = un seul sacrifice, une fois pour toute, efficace pour tous
Pâque et Jour des expiations à 6 mois de distance Pâque et Jour des expiations à 2 semaines de distance À la croix, Pâque = Jour des expiations
Multiples sacrifices Surtout les Holocaustes (consécration) La vie du croyant est un sacrifice vivant
Gloire pendant l’inauguration Gloire permanente dans le Temple Jésus est le temple qui montre la gloire de Dieu parmi les hommes

Ce qui est annoncé par Ézéchiel ressemble alors à une étape intermédiaire entre la Torah et l’œuvre de Jésus. Il me semble qu’Ézéchiel fait ce qu’explique 1 Pierre 1.10-12, il annonce l’œuvre de Jésus-Christ sur la base des indices qu’il a reçu. Pour cela, il réutilise le langage de la loi mais en la reconfigurant, il annonce la direction que va prendre ce Salut. On a donc bien un exemple de futur dit avec le langage du présent[4]. L’institution du temple modifiée devient un type de Jésus-Christ[5].

[1] Ici : http://www.creusonslabible.fr/?p=6617

[2] Pour les tenants de l’interprétation littérale, les sacrifices faits dans ce temple auront une fonction mémorielle, pour se souvenir du sacrifice expiatoire de Jésus-Christ. Or le texte précise de manière très claire la fonction expiatoire des sacrifices, si on leur donne une fonction mémorielle, on n’est plus littéral. Alors on peut se demande pourquoi être littéral partout sauf pour ces sacrifices ?

[3] Si vous avez besoin d’une petite mise à jour sur le système cultuel de l’Ancien Testament, n’hésitez pas à écouter ces enregistrements : http://www.creusonslabible.fr/?p=184

[4] Comme développé ici : http://www.creusonslabible.fr/?p=6576

[5] Jésus-Christ aussi, c’est un brave type, mais c’est même plus qu’un type, c’est un anti-type. C’est clair non ? Pas du tout ? Rafraichissez-vous donc la mémoire ici : http://www.creusonslabible.fr/?p=6635

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